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XXXII

ÎLES MARIANNES

Guham. — Suite de Mariquitta. — Angela et Domingo.

Je descendis vers six heures, et, dans mon vif regret de quitter une jeune fille qui me témoignait un amour si vrai, si naïf, je priai Lamarche, mon ami et lieutenant en pied de la corvette, de faire mettre mes effets à terre dans le cas où, profitant d’un vent favorable, on mettrait à la voile avant mon retour. Dans les affaires de cœur ce ne sont pas mes chagrins personnels qui m’épouvantent : c’est pour l’autre moi surtout que mes peines sont vives et poignantes.

Le soleil était à son déclin, et je me flattais, en hâtant le pas, d’arriver à Agagna avant minuit. Pour rapprocher la distance, je résolus de quitter le chemin battu et tortueux qui borde le rivage, et je coupai court à travers les bois. Ici pas de terreurs à avoir ; nulle bête féroce ne parcourt ces solitudes, nul serpent venimeux ne rampe sous l’herbe, nulle horde de sauvages ne promène ses fureurs ni sa rage et ne menace le voyageur égaré : quelques buffles seulement descendent des montagnes dans la plaine, et fuient à l’aspect de l’homme ; quelques cerfs sauvages se réveillent au bruit et bondissent dans les plus épais taillis, où ils trouvent un gîte assuré. C’est du calme à l’air, du calme dans le feuillage, et il y a une sorte de solennité à se jeter seul dans ces immenses forêts séculaires, où vous rêvez à loisir d’indépendance et de liberté.

Dans mon excursion tout amoureuse, il m’arriva ce qui arrive toujours à quiconque se persuade que la ligne droite est le plus court chemin pour aller d’un point à un autre : je m’égarai, et je ne m’en aperçus qu’alors que le retour me fut impossible. Que faire ? Avancer toujours, au risque de ne plus me retrouver. D’une part, je me figurais la corvette près de