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voyage autour du monde.

lever l’ancre ; de l’autre, je me réjouissais dans le fond de l’âme du bonheur inattendu que je comptais apporter à Mariquitta, pauvre enfant que je laissais dans les larmes, elle qui, sans savoir pourquoi ni comment, s’était pieusement flattée de me garder toujours auprès d’elle. Hélas ! dans toutes les luttes avec le cœur, la raison a-t-elle jamais le dessus ?

Cependant la nuit avançait à grands pas ; j’avais déjà traversé le lit pierreux d’un ruisseau à sec, dont je supposais l’embouchure en face de Tompoungan. Cet indice servit à m’orienter, et je redoublai d’ardeur. Partout un sol uni, parfumé, couvert d’un gazon frais et vigoureux ; partout aussi des géants immenses, le cocotier, les palmistes, le vacoi et ses rejets impudiques, l’arbre à pain, si beau, si imposant, si utile, et j`oubliai la corvette et presque l’Europe dans mon admiration de chaque instant. Un second torrent, que j’avais remarqué près d’Assan, me guida de nouveau, et je ne tardai pas à distinguer dans l’ombre les premières maisons d’Agagna.

Pauvre Mariquitta ! me disais-je tout bas en hâtant mon pas de course, à demain une nouvelle et douloureuse séparation ; mais encore une fois j’entendrai tes douces paroles, encore une fois j’essuierai tes larmes !

Arrivé sur le seuil, au pied de la petite échelle, j’écoutai du cœur ; il me sembla entendre des soupirs mêlés à des sanglots. J’entrai… Tout dormait d’un sommeil paisible, tout était calme ; ou eût dit que nulle passion n’avait passé par là, et Mariquitta reposait plus profondément encore que sa sœur.

J’étais épuisé de fatigue, et cependant je voulais repartir à l’instant même ; le dépit et le chagrin furent plus forts je m’assis doucement sur un escabeau, muet témoin de tant de confidences, et j’attendis le jour, qui ne tarda pas à paraître, après avoir placé presque sur la tête de l’oublieuse jeune fille un charmant foulard que j’ôtai de mon cou. Mariquitta se réveilla, ouvrit les yeux et vit mon cadeau :

Dios ! Dios ! s’écria-t-elle, Arago est mort ; un ange m’a apporté ce lenzo que je n’avais pas osé lui demander.

Elle se leva, m’aperçut et poussa un cri :

— Tu ne pars plus, n’est-ce pas ?

— Si, mais j’ai voulu te revoir encore : je pars plus tranquille, car tu dormais : le chagrin ne dort guère.

— Non, mais il tue.

— Tu mourras donc de mon départ !

— Oui.

Eh bien ! Mariquitta ne mourut pas.

Un de mes amis, M. Bérard, dans son dernier voyage, a vu la jeune fille tchamorre et lui a donné aussi des rosaires, des scapulaires, des mouchoirs, des colliers.

Guham est pourtant à plus de dix mille lieues de ma patrie !