Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
souvenirs d’un aveugle.

encore oublié que Mariquitta voulut m’accompagner afin d’adresser, disait-elle, ses vœux au protecteur de la colonie pour obtenir en ma faveur une longue et dangereuse maladie. Vous voyez que j’étais menacé de toutes parts.

Le chemin qui conduit à l’endroit des miracles est ravissant : c’est partout un sol terreux, mais ferme ; ce sont partout de magnifiques allées de vacois sous lesquels on se promène comme sous de larges et magnifiques parasols s’épanouissant au soleil ; c’est le cri aigu des oiseaux qui remplissent le feuillage, une brise rafraîchissante qui vous apporte des émanations embaumées, et le calme imposant de ces vastes solitudes qui vous saisit à l’âme et vous dispose merveilleusement à la foi. Rien ne manque au piège, et moi, plus que mes compagnons insouciants, j’avais à mes côtés la dévote Tchamorre, qui comptait si fort sur la puissance divine. Aussi, dès qu’elle nous eut montré de loin Tiboun et sa crique tranquille, ne pus-je m’empêcher d’éprouver une de ces légères émotions qui accompagnent toujours l’homme sitôt qu’on met en lutte la raison avec le merveilleux. Et puis, je suis né dans un pays où les miracles de toute nature sont en pleine faveur ; je vous en citerai mille au moins plus certains, plus avérés les uns que les autres, qui ont tous édifié mon petit bourg d’Estagel, enclavé dans les Pyrénées, et je me garderai bien, je vous assure, de les révoquer en doute devant mon excellente et vieille mère, dévote à tous les saints presque autant qu’à Dieu même, et qui a dans son âme angélique une foi si ardente qu’elle courbe sa raison encore plus devant ce qu’elle n’a jamais vu que devant ce qui frappe journellement ses regards. Soyez donc pur de préjugés quand vous avez été doucement bercé avec les cantiques rimés d’une centaine d’élus roussillonnais inconnus aux martyrologes !

Mais revenons. Voici le tertre couronné d’un gazon pur et égal, voici la place où tomba saint Victorès ; elle est aride et pelée, et cette nudité dessine assez bien la silhouette d’un corps humain.

— Hé bien ! me dit Mariquitta toute joyeuse, est-ce vrai ?

— Quoi ?

— La place n’est-elle pas maudite ?

— Elle est nue, voilà tout.

— Pourquoi le serait-elle, quand tout est vert autour ?

— Je n’en sais rien encore ; je vais chercher et je ne demande pas mieux que de te donner raison.

— Ce sera la donner au ciel.

Près de là était une toute petite cabane, bâtie sur pilotis comme les maisons d’Agagna, vers laquelle je me dirigeai pour de nouveaux renseignements.

Un pauvre homme d’une cinquantaine d’années l’habitait ; il se leva à ma vue et se signa dévotement.