— Ceci est votre demeure ?
— Oui, senor.
— Vous y vivez seul ?
— Absolument seul.
— Est-ce par dévotion ?
— C’est par ordre du gouverneur, qui tous les jours me fait apporter mes vivres.
— À quoi passez-vous votre temps ?
— Je ne peux pas vous le dire.
— Mais le gouverneur me l’a dit.
— Lui le peut ; moi, je ne le peux pas.
— Avez-vous rempli votre devoir, ce matin ?
— Je n’y manque jamais.
— Pourtant j’ai remarqué vers l’endroit de la tête une petite touffe de gazon oubliée.
— Oh ! c’est impossible.
— Votre vue s’affaiblit, brave homme : il faudra vous donner un suppléant ou vous remplacer.
— Par grâce, ne le dites pas au seigneur gouverneur.
— Je vous le promets.
Mariquitta revint me rejoindre, tandis que mes camarades faisaient un bon déjeûner sur l’herbe.
— Êtes-vous bien convaincus ? leur dis-je en les rejoignant ; pourrez-vous maintenant certifier le miracle ?
— Toute incrédulité est impossible.
— Je suis de votre opinion ; mais l’eau, l’avez-vous vue rouge ?
— Pas encore.
— Cela viendra peut-être ; le miracle n’est point permanent comme celui du gazon.
— Eh bien ! attendons encore ; il faut partir tout à fait édifiés.
Le flot commençait à descendre ; nous nous assoupîmes tous au milieu de nos causeries, et à notre réveil nous jetâmes un regard avide vers l’anse. À la place indiquée l’eau était rouge, visiblement rouge, rouge comme du sang, mais un sang peu coloré.
— Diable diable ! nous écriâmes-nous presque en même temps, l’ermite est pourtant ici sans puissance : étudions le phénomène.
Nous poussâmes à l’eau une petite pirogue servant à la pêche du bonhomme et nous nous rendîmes sur l’emplacement même où l’eau reflétait la teinte si extraordinaire. Nous sondons de l’œil ; il n’y avait pas en ce moment plus de cinq pieds de fond ; l’aviron plonge un peu horizontalement, le sable monte à la surface ; il est rouge, très-rouge : et la coloration de l’eau s’explique sans le secours du prodige.
— Or ça, mes amis, que dirons-nous à M. Médinilla ?