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XXXIII

ÎLES MARIANNES

Voyage à Tinian. — Les Carolins. — Un tamor me sauve la vie.

Voici une de ces courses palpitantes d’intérêt, amusantes et instructives à la fois, sur lesquelles les années passent sans que le moindre épisode les décolore ou les affaiblisse. Jamais peut-être navigateur n’a fait d’excursion plus curieuse, plus incidentée ; et si le cœur m’a battu de crainte au moment du départ, il m’a battu plus violemment, je vous l’atteste, pendant le voyage, à l’idée seule que cette occasion si belle et si rare aurait pu m’échapper.

Tinian est là-bas, au nord de Guham ; on dit qu’il y a sur ses plages désertes de gigantesques ruines à voir. Allons étudier les ruines de Tinian.

Bérard et Gaudichaud font le trajet avec moi, tant mieux : deux jeunes courages souvent éprouvés, l’un ardent botaniste, l’autre officier expérimenté. Je n’aurais pas mieux choisi. La traversée est courte, mais non sans d’imminents dangers sur des barques si fragiles ; tant mieux encore : c’est la difficulté vaincue qui fait le mérite. Je n’ai plus que de l’impatience dans l’âme.

Le gouverneur, le commandant, les autorités d’Agagna et quelques amis nous escortent jusqu’au rivage, où l’on nous serre affectueusement la main en nous disant : « À la grâce de Dieu ! » Puis je laisse tomber un dernier et pénible regard sur une jeune fille en prières, et je monte