Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/467

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lage. Je ne peux pas mieux la comparer qu’à ces paniers dans lesquels nos marchands enferment les volailles, de sorte qu’il serait exact de dire qu’avec les Carolins on navigue en ballon.

J’étais là, moi, cruellement tiraillé par d’horribles souffrances, sans une voix amie pour me donner des forces, sans mon brave Petit pour appeler un léger sourire sur mes lèvres. Cependant de temps à autre je mettais le nez à l’air et je dessinais, au milieu de mes angoisses, la côte admirablement boisée de l’île, où se montraient quelques pauvres cabanes au fond des criques silencieuses qui creusent le sol.

La voile de pagne était toujours au vent, l’écoute entre les mains du premier pilote, tandis qu’un de ses camarades, sur l’arrière, aidait à la manœuvre, à l’aide d’un petit gouvernail qu’il faisait mouvoir avec le pied plongé dans l’eau par intervalles. Ma douleur se taisait dans mon admiration en présence de tant d’adresse.

La mer était houleuse et haute ; je ne comprenais pas la joyeuseté de mes compagnons de voyage alors que le pros tournoyait pour ainsi dire au gré de la lame, et je me hasardai, entre deux gros soupirs, à leur demander si nous ne courions aucun danger.

— Ne craignez rien, me dit le tamor d’une voix douce en mauvais espagnol ; ne craignez rien, nos barques ne chavirent jamais.