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voyage autour du monde.

Là, à quelques pas, sont Seypan et Anataxan, cônes rapides, fournaises turbulentes où s’enflamme le soufre, où pétillent et bouillonnent la lave et le bitume. Dans une de leurs colères si fréquentes, ces terribles volcans auront ébranlé le sol, refoulé les flots océaniques, et renversé cette admirable végétation sur laquelle pointe, depuis quelques années. une végétation nouvelle. Laissez-la grandir, et le portrait d’aujourd’hui sera sans fidélité ; il sera une fiction, une création du voyageur.

Comment donc expliquer, autrement que par une de ces commotions terrestres dont cet archipel est si souvent ébranlé, la présence sur Tinian des pierres ponce et des scories dont la plage et l’intérieur de l’île sont pour ainsi dire voilés, alors surtout que dans l’île même on ne trouve aucune trace de volcan en activité ?

Tinian ressuscite déjà, et l’amiral Anson ne tardera pas à avoir raison contre moi.

Aujourd’hui les rimas, frappés dans leurs racines, ont perdu de leur imposante majesté ; les pastèques, les melons, les ignames, si vantés jadis, n’ont plus la saveur qui les rend si parfaits à Guham et à Rotta ; et les cocotiers, privés de leur sève, promènent tristement dans les airs leur chevelure flétrie : on dirait qu’ils gémissent de la souffrance de la nature et qu’ils veulent mourir avec elle.

Notre arrivée au débarcadère eut un si grand retentissement et causa une si grande frayeur dans les quatre ou cinq maisons devant lesquelles nous débarquâmes, que peu s’en fallut qu’il n’y eut personne pour nous recevoir. L’alcade pourtant se décida en tremblant à venir à nous ; il nous demanda le motif de l’honneur que nous faisions à son établissement, et quand nous eûmes décliné nos qualités, le brave homme se courba jusqu’à terre en nous demandant pardon de nous avoir pris d’abord pour des sauvages ou des insurgés de la capitale de tout l’archipel. Ses trois filles, assez proprement vêtues, vinrent nous offrir quelques fruits que nous acceptâmes en échange de plusieurs bagatelles européennes, et une harmonie parfaite régna entre nous depuis ce premier moment jusqu’à notre départ. À la bonne heure ! des conquêtes obtenues à si peu de frais !

Nous parcourons l’île.

Il faut qu’elle ait été le berceau d’un grand peuple effacé du globe par une de ces révolutions morales qui bouleversent les empires et font disparaître les générations. Partout des ruines ; à chaque pas, des débris de colonnes et de pilastres. Qui habitait cet immense édifice à moitié englouti sous l’herbe ? Où est le peuple qui l’a renversé ? Que sont devenus les vaincus ? D’où venaient les vainqueurs ? Rien ici ne sert de base à une supposition raisonnable ; nul regard ne perce les ténèbres épaisses qui nous enveloppent.

Les ruines le mieux conservées sont celles qui s’élèvent à une cen-