Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/491

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
421
voyage autour du monde.

les répétèrent en cette circonstance, en invoquant les pac (fusil, canon), qui retentissaient encore.

Je pris mon tamor aimé sous le bras, je le rassurai par mes regards et mon sourire, et, le forçant à me suivre, je le conduisis presque de force sur la place publique, où se faisait le salut accoutumé. Tous ses camarades nous accompagnèrent, pleins de défiance, et ils ne tardèrent pas à reprendre courage en présence de notre sang-froid et de nos gages d’affection.

C’était la fête de Ferdinand VII, roi des deux Espagnes ; les cloches de la ville annonçaient avec fracas cet heureux anniversaire ; une clarinette, un tambour et un triangle, suivis de quatre soldats et de deux officiers taillés comme vous savez, parcouraient la ville et ordonnaient aux habitants de déblayer le devant de leurs maisons, tandis que la foule hébétée passait et repassait émerveillée devant le palais du gouverneur, au balcon duquel on avait placé, entourée de verdure et de palmes élégantes de cocotiers, l’image glorieuse du puissant protecteur de cette colonie sans avenir.

Eh bien ! tout était sérieux et grave dans les génuflexions des habitants en présence du portrait de leur prince, et malheur à celui d’entre eux qui n’eût pas montré une grande ferveur dans ses témoignages d’estime et d’adoration !

Afin de célébrer le plus dignement possible la fête de son auguste souverain, don José Médinilla voulut que des danses nationales et étrangères vinssent clore la soirée. Vous devinez sans doute pour qui tout ce luxe de plaisirs.

Nous occupions, en effet, les places d’honneur, et nous nous préparâmes à être heureux. L’attente n’est-elle pas une joie ?

Ce furent d’abord les Tchamorres qui, en rond, hommes et femmes mêlés, piaffèrent une farandole fort monotone et fort peu gracieuse ; puis entra dans le cercle qu’ils décrivaient, un preux chevalier armé d’un bâton en guise de lance, provoquant à un combat singulier tout adversaire qui voudrait essayer de lui prouver que l’épouse qu’il avait choisie n’était pas la plus belle de l’île. Personne n’osa lui soutenir le contraire, et cet intermède se trouva naturellement achevé faute de combattants, ce qui piqua singulièrement la jeune fille dont le Tchamorre s’était déclaré le généreux protecteur.

Voici venir les Carolins et le bonheur avec eux. C’est une troupe de bambins après une heureuse espièglerie de pension. Oh ! Il y a sur les lèvres un sourire si plein de bonté, il y a dans les yeux un si doux caractère de bienveillance, que vous vous mettez à l’instant même de moitié dans leurs folies d’enfant.

Ils sont tous disposés et en place : ils se coudoient, se donnent à tour de rôle un léger coup de pied sur le jarret, puis à la cuisse, puis autre