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souvenirs d’un aveugle.

reprises, j’avais eu raison de soupçonner la fidélité. C’était lui qui allait blanchir mon linge que j’avais soin de toujours compter en sa présence, et quand il disparaissait un mouchoir, une cravate ou tout autre objet, il ne manquait jamais, lui, d’en accuser un de ses camarades ou sa mauvaise étoile. Un jour pourtant que je m’aperçus de la disparition d’un beau foulard, je feignis d’être satisfait de la fidélité de mon drôle, et je l’en remerciai en lui offrant un foulard à peu près pareil à celui qu’il m’avait dérobé. À cette offre, mon voleur s’arrêta tout net en me regardant d’un air hébété, et parut hésiter à accepter mon cadeau.

— Eh bien ! Ahoé, tu me refuses ?

— Non, maître.

— Est-ce que ce mouchoir ne te plaît pas ?

— Oh ! si, maître ; beaucoup, beaucoup trop.

— Alors, prends.

Ahoé tendit une main tremblante et sortit à petits pas, presque à reculons. Le soir, en préparant mon hamac, il me dit :

— Maître a-t-il bien compté son linge ce matin ?

— Oui.

— Je crois que non.

— Je suis sûr que oui.

— C’est que je suis fidèle et que rien n’a manqué cette fois.

— C’est bien.

— Comptez encore.

— Soit.

L’hypocrite impertinent se mit à genoux, fit passer sous mes yeux avec rapidité les pièces de mon linge dont la présence m’avait été déjà bien constatée, et, arrivé au foulard enlevé le matin et que sa conscience lui avait dit de me restituer, il s’arrêta alors avec complaisance, en me faisant bien remarquer qu’il n’avait pas disparu.

À Sparte, mon voleur eût reçu les étrivières ; moi, je me contentai de sourire en pitié, et je tirai de notre double conduite cette vérité morale, de tous les temps et de tous les pays, que la générosité est la plus sûre des séductions.

Les femmes sont aussi grandes que les hommes, et, vues par derrière à quatre pas de distance, elles ne peuvent guère être distinguées des hommes. Robustes, infatigables, elles dédaignent les soins du ménage, les travaux faciles, et elles se livrent avec une folle ardeur au défrichement des terres, sous les atteintes d’un soleil dévorant.

Il faut les voir, surtout quand la mer est houleuse et déferle avec fureur sur la grève envahie, attendre que le flot se dresse et ouvre ses flancs, s’y précipiter joyeuses, et se montrer au large luttant contre une nouvelle vague impuissante à les vaincre.

Priver une femme des Sandwich de se baigner au moins deux fois par