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voyage autour du monde.

sein de leurs familles. Maintenant retournons à la fête si bien ordonnée par M. Médinilla et qui est loin encore de se terminer, quoique la moitié de la nuit ait passé sur elle, car, j’avais oublié de vous le dire, tous ces enchantements avaient lieu à la clarté brumeuse d’un grand luxe de torches projetant de tous côtés des milliers d’ombres fantastiques.

Je ne sais où M. Médinilla s’est procuré les divers costumes des personnages de ces derniers tableaux ; peut-être sont-ils réellement historiques, peut-être quelques caricaturistes de Manille ou de Lima auront-ils voulu s’amuser aux dépens du lieutenant d’infanterie, chef omnipotent des Mariannes ; peut-être aussi a-t-il voulu lui-même mettre notre rétive crédulité à l’épreuve.

Quoi qu’il en soit, les acteurs de ces nouveaux jeux, appelés danses de Montézuma, étaient si drôlatiquement costumés, si follement bariolés de rubans et de plumes, que le principal de ces personnages, figurant le grand Montézuma lui-même, me rappela avec assez d’exactitude certain grotesque Orosmane de Rio-Janeiro, dont je vous ai parlé en temps et lieu. Hélas ! l’extravagance n’est-elle pas de tous les pays !

Mais que ces costumes aient été ou non apportés du Pérou ; qu’ils datent de la conquête de ce vaste empire ou qu’on les ait fabriqués depuis et autre part, toujours est-il qu’ils sont d’une magnificence extrême. La soie en est d’un tissu admirable ; les couleurs qui les bariolent, sans trop de mauvais goût, sont parfaitement conservées, et les franges d’or qui bordent les tuniques et les manteaux attestent la pureté du métal et l’adresse exquise de l’ouvrier qui les a façonnées.

On nous assure que ces danses avaient lieu au Pérou et dans les provinces de l’est de l’Amérique lors de chaque cérémonie religieuse ou après une éclipse de soleil.

Décrivons-les, mais passons sur plusieurs actes insignifiants de cette sorte de drame, qui en eut dix ou vingt.

D’abord les danseurs, au nombre de seize, placés sur deux lignes parallèles, à cinq ou six pas de distance l’un de l’autre, entonnèrent un chant lent et monotone ; puis, avec une gravité imposante, ils marchèrent ou plutôt glissèrent l’un vers l’autre en agitant de la main droite, devant le visage, un éventail en plumes de divers oiseaux et en faisant sonner de la gauche de petites pierres enfermées dans un coco vide. Arrivés sur la même ligne, les danseurs s’arrêtèrent, chantèrent quelques paroles plus rapides, et, tournant sur leurs talons, ils changèrent de place. Ils allaient recommencer le même manège au son d’une musique assez harmonieuse, composée d’une petite flûte à deux becs, d’un tambour de basque et de lattes frappées les unes contre les autres, quand le héros figurant Montézuma s’avança à son tour, promena son énorme et magnifique éventail, ainsi que son sceptre à pomme d’or, sur la tête de ses sujets, et tous alors se séparèrent pour se préparer à de nouveaux jeux.