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souvenirs d’un aveugle.

Ave, Maria, dis je en entrant.

Gratia plena, senor.

— Toute seule ici ?

— Mon père est allé à la pêche.

— Me permets tu de m’asseoir ?

— Je vous permets de vous coucher dans mon hamac, et, si vous le voulez, je vous bercerai.

— Tu as de trop jolies mains ; je craindrais de les fatiguer.

— En aimeriez-vous mieux de plus laides et de plus grosses ?

— Non, mais je tiens à rester près de toi sur cet escabeau. Veux-tu que nous causions ?

— Je n’ai pas grand chose à vous dire : je ne sais rien. Si, pourtant ; je sais que vous connaissez Mariquitta, qui loge là-bas, près du palais.

— Qui t’a dit cela ?

— Je le sais.

— Est-ce que tu en es fâchée ?

— Pourquoi donc ?

— Elle est si jolie !

— Et si bonne !

— C’est vrai, tout le monde l’aime à Agagna.

— Elle est aussi bien heureuse, car elle a de beaux mouchoirs, une belle camisole, des jupes superbes, et un rosaire bénit par notre saint-père le pape.

— Tu serais donc bien heureuse d’avoir aussi tout cela ?

— Certainement. Moi, je n’ai qu’une seule jupe, qui se fait bien vieille, et je suis sans camisole ; mon corps est nu, et pas un rosaire bénit pour me réchauffer pendant la nuit.

— Tu peux te procurer toutes ces belles et bonnes choses.

— Comment ?

— Que ferais-tu pour les avoir ?

— Oh ! tout ce qu’on voudrait, excepté le mal.

— Qu’entends-tu par le mal ?

— Ne pas prendre d’eau bénite à l’église, ne pas dire ma prière en me levant et en me couchant, et ne pas aimer mon père et ma mère.

— C’est tout ?

— Tout.

— Si je te demandais un baiser ?

— Je vous en donnerais cent.

— Petite, je veux te donner ce que tu désires sans t’imposer aucune condition. Tiens, ajoutai-je en ouvrant mon havresac, voici quatre grands mouchoirs unis ensemble qui te feront une jupe neuve ; voici encore une chemise que tu peux couper pour une camisole ; une image de la Vierge