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voyage autour du monde.

du gouverneur, et M. Médinilla lui-même n’était pas le moins ardent des parieurs.

Pour cet exercice, on dresse le courageux volatile d’une façon assez originale attaché par la patte droite à un pieu, on lui montre de loin la nourriture dont il a besoin, et les efforts qu’il fait continuellement afin de l’atteindre donnent à cette patte une force vraiment extraordinaire. Aussi, quand un coq est sorti vainqueur de trop de combats, on n’accepte de lutte avec lui qu’à condition qu’il ne sera armé du fer aigu que de la patte gauche. La mort de l’un des combattants, souvent même la mort de tous les deux, est le résultat inévitable de la querelle, que l’on engage d’abord en tenant dans les bras les deux adversaires, et en leur faisant échanger trois ou quatre coups de bec sur la tête.

On appelle ici ce combat jeu royal… Jeu royal ! Qu’est-ce à dire ? Est-ce parce que le sang coule ? Nobles têtes couronnées, comme on vous calomnie !

Guham a quarante lieues de tour ; le côté nord, presque désert, est formé de calcaire madréporique, et les falaises qui bordent la mer sont abruptes et élevées. Au milieu de ce massif, dans un lieu nommé Sainte-Rose, a pointé, depuis deux ans, un petit piton volcanique dont les ravages se font déjà sentir dans les environs. Des protubérances madréporiques entourent presque toute l’île, plutôt défendue par son inutilité que par la nature et les citadelles élevées à grands frais par les Espagnols.

Le côté sud de l’île offre un spectacle bien singulier : ce sont d’abord des cônes élevés avec des bouches encore béantes d’où s’exhale parfois une odeur sulfureuse et des jets de flamme colorée de bleu et de rouge ; ce sont aussi, sur le penchant de ces cônes rapides, des basaltes, des couches bizarres de lave vomies par les fréquentes éruptions, tellement et si régulièrement superposées, qu’il est aisé de compter par les profils les colères des feux souterrains.

Mais, dès que vous vous rapprochez du rivage, le sol perd de son âpreté, et se dessine en ondulations déprogressives jusque sur les flots, où elles s’éteignent presque imperceptibles. Mon brave Petit, qui rapporte tout à la marine, et dont le langage pittoresque trouve si instinctivement le mot de la chose, selon son expression favorite quand il veut faire le savant, me dit :

— Savez-vous bien, monsieur Arago, que le raz-de-marée a passé par ici ?

— Comment l’entends-tu ?

— C’est facile ; voyez comme la terre clapote : il y a de l’eau là-dessous.

— Ce que tu appelles de l’eau, c’est du feu.

— Qu’importe ? si l’effet est le même. Je vous jure qu’il y a sous nos