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souvenirs d’un aveugle.

pieds quelque chose qui bout, et puis quand ça aura bouilli, le couvercle sautera, et nous gigoterons comme de bons enfants.

— C’est possible.

— Tenez, creusez avec votre sabre ; je suis sûr que vous trouverez une source de feu.

Nous essayâmes l’opération ; mais la croûte était trop dure : nous y épuisâmes vainement nos forces. Au surplus, ces flammes souterraines, ces secousses violentes et si souvent répétées, ces fatigues perpétuelles d’une terre en travail, n’ont pu encore étouffer cette puissance de la végétation qui pare l’île d’un immense bouquet de verdure, et quelques parties même de l’intérieur rappellent, sans trop de désavantages, le chaos impénétrable des forêts brésiliennes.

Ici, seulement, point de reptiles qui bruissent et sifflent sous les arbustes et les feuilles mortes, point de monstrueux lézards qui vous fatiguent de leurs cris, point de rauquements lugubres des jaguars ; tout est calme à la surface de Guham, quand tout est turbulence dans ses entrailles. On dirait que les fureurs intérieures ont pris à tâche de ne pas troubler la quiétude des êtres vivants qui y respirent un air pur et limpide. Peut-être, hélas ! le jour de la destruction n’est-il pas éloigné, et les volcans se feront-ils les terribles auxiliaires de la lèpre à nous le sol, à toi les hommes.

Les bois et les montagnes de Guham offrent au naturaliste des objets dignes de sa curiosité et de ses réflexions. Une grande quantité d’oiseaux, riches de mille couleurs, voltigent de branche en branche, et ne cherchent que rarement à éviter l’atteinte des chasseurs. Le plus joli, sans contredit, est la tourterelle à calotte purpurine, dont les couleurs sont d’une douceur étonnante et la forme infiniment gracieuse. Les martins-pécheurs viennent après ; il y en a de magnifiques ; mais les oiseaux de cette partie du globe, brillants de plumage, ont un chant monotone ou un cri fort désagréable.

La mer est plus riche encore que la terre ; on y trouve des poissons de toute espèce et bariolés de mille couleurs. La collection de nos docteurs était précieuse, et ils auraient apporté bien des espèces inconnues en Europe, si le triste naufrage que nous fîmes aux Malouines ne les avait englouties. On fait ici aux habitants de la mer une guerre opiniâtre à l’aide d’un petit poisson dont j’ai oublié le nom, et qu’on garde dans un réservoir où il est nourri avec le plus grand soin. Dès qu’il est jugé assez instruit dans le métier qu’on lui apprend, on le lâche, et le pêcheur, en frappant de grands coups sur son bateau, le fait revenir avec tous les autres poissons, que son élève a l’adresse d’attirer dans ses filets.

On compte trente-cinq rivières dans toute l’île, dont quelques-unes roulent des paillettes de fer et de cuivre. Les principales sont Tarofofo, Hig et Pago ; elles se jettent toutes trois dans la mer ; et la première peut