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voyage autour du monde.

être remontée avec un petit navire à une assez grande hauteur. Quoique le pays soit très-montagneux, elles coulent fort lentement, et celle d’Agagna, par exemple, ne file pas un tiers de lieue par heure. Elles sont médiocrement poissonneuses.

Le cocotier, que je ne crains pas d’appeler le souverain des arbres, quand je considère la richesse de son feuillage, et que je nomme le plus précieux lorsque je songe à son utilité, s’élance de terre par une tige de deux pieds de diamètre, qui s’élève majestueusement jusqu’à cent pieds de hauteur et promène dans les airs sa chevelure verdoyante ; ses feuilles, formées d’une arête large et flexible que bordent de longues folioles opposées, obéissent au vent le plus léger, et, cadencées avec grâce, elles s’entrelacent mollement, se déploient avec majesté et retombent sans être affaissées. Plus l’arbre est jeune, plus elles sont larges et vigoureuses ; plus il vieillit, plus elles deviennent rares et faibles ; on dirait qu’elles font sa vigueur, comme les cheveux de Samson faisaient sa force. Dépouillée de cet ornement, sa tige grisâtre semble succomber sous le poids énorme des fruits qui la dominent et qui y sont attachés en grappes. Ces fruits ne sont qu’une partie de sa richesse. Aussi gros que nos melons, ils renferment dans leur double enveloppe une eau plus limpide que celle qui tombe des belles cascades des Pyrénées ; elle est douce et bienfaisante, mais l’excès en est nuisible, ainsi que celui de la crème délicieuse qu’elle dépose sur les parois de la première coquille.

Pour arriver jusqu’au sommet de l’arbre, les noirs, les sauvages, les habitants des Mariannes se servent à peu près des mêmes moyens : ils font de petites entailles à son tronc, ou plus souvent encore, avec l’arête même des feuilles qu’ils lient entre elles perpendiculairement au sol, ils dressent une sorte d’échelle capable de supporter les plus lourds fardeaux. Du reste, ce n’est que pour les enfants qu’on fait usage de ces moyens, car, dès qu’ils ont acquis la force de la jeunesse, les naturels escaladent les arbres les plus roides avec une agilité merveilleuse, et j’en ai vu qui se jouaient en riant des difficultés et qui les cherchaient pour nous montrer leur adresse.

Sans compter la nourriture agréable et naturelle qu’on retire de ces fruits, jetez un coup d’œil sur le tableau suivant, et jugez vous-même si cet arbre n’est pas un bienfait pour tous les insulaires de la mer du Sud, et en particulier pour les habitants de cet archipel isolé.

Du fruit ou de la liqueur qui découle des branches tronquées à dessein on obtient :

Des confitures excellentes,

De l’eau-de-vie délicieuse,

Du vinaigre,