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souvenirs d’un aveugle.

rence, par respect ; c’est à elle que l’on offre, au lever, le premier cigare qui se fume dans la maison, et qui mange la première galette sortant de l’ardoise sur laquelle elle a été dorée. Ô mesdames de Paris ! vite, vite, créez à votre profit un code mariannais, nous voilà prêts à le ratifier, nous voilà disposés à subir le joug.

À Guliam et à Holla les discussions d’homme à homme sont toujours tranchées par les femmes ; celles entre femmes ne le sont jamais par les hommes.

À la mort d’un homme, le deuil est de deux mois ; à la mort d’une femme il est de six ; la perte est trois fois plus grande. Les dames ont aussi leur galanterie. Nous sommes ici vaincus par les signes extérieurs, mais le cœur nous absout ou plutôt nous relève.

Lorsqu’une femme prend un mari dont la fortune est moindre que la sienne, c’est celui-ci qui, dans le ménage, est tenu de travailler pour la femme et d’accepter les corvées les plus pénibles.

Lorsque la dot des deux époux est à peu près égale, ou même lorsque la femme ne possède rien, les travaux sont partagés ; seulement, les deux parts une fois arrêtées, la femme choisit d’abord sans que le mari puisse se plaindre.

Si le frère ou le père d’une jeune fille sauve d’un danger imminent un individu quelconque dont la fortune est considérable, celui-ci, s’il ne déplaît pas, est tenu d’épouser la sœur ou la fille de son libérateur. À la vérité, en s’étayant du code espagnol, mis en vigueur depuis la conquête de l’archipel, on peut s’affranchir de ce tribut forcé ; mais telle est la ferveur des naturels pour leurs antiques coutumes, qu’il n’y a pas d’exemple à Guham d’une opposition sérieuse formée par celui qui a reçu le bienfait. Dans ce cas même de mariage, l’époux n’a pas le droit d’exiger une dot de sa femme.

Les parents et les amis se donnent rendez-vous au chevet d’un mort, et, après quelques rapides prières, on cherche à oublier le malheur dans les libations copieuses d’une liqueur enivrante nommée touba, qui ne tarde pas à assimiler les vivants au défunt. Une orgie pour calmer une douleur !

Les détails se pressent en foule dans ma mémoire, et si je ne les transcris point tous ici, c’est que d’autres archipels ont droit à l’empressement du visiteur. Toutefois, avant de dire un dernier adieu aux Mariannes, il ne sera peut-être pas inutile de rappeler en peu de mots l’histoire de leur découverte et de leur conquête sur les Tchamorres.

Une des époques les plus fécondes en grands courages est sans contredit celle qui suivit de près l’heureuse entreprise de Colomb. À son école se formèrent une foule de nobles aventuriers, insatiables de périls et de gloire, avides de merveilleux, qui de tous les points de l’Europe s’élançaient pour parcourir et étudier le monde agrandi, et nous nous hâtons