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voyage autour du monde.

de dire que le Portugal surtout inscrivit des noms illustres dans les plus belles pages de l’histoire des nations. Chassé, pour ainsi dire, de Lisbonne, sa patrie, où l’on n’avait pas voulu accepter ses services, Magellan, à l’exemple de Colomb, alla offrir le secours de son expérience à l’Espagne, qui lui confia un beau navire pour tenter des découvertes vers l’ouest, puisque le cap de Bonne-Espérance avait été doublé et que chaque jour les vaisseaux explorateurs arrivaient en Europe, après avoir enrichi la science nautique de quelque petite île, de quelque rocher ou d’une grande terre.

Magellan traversa l’Atlantique, longea la côte orientale du Brésil, le Paraguay et la terre des Patagons ; il aurait peut-être doublé le cap Horn, lorsqu’une tempête horrible le jeta dans le fameux détroit qui porte son nom. J’ai déjà dit sa joie à l’aspect du vaste Océan Pacifique qui déployait devant lui sa majesté imposante et la masse effrayante de ses vagues se brisant sur les côtes occidentales du Nouveau-Monde. Hardi comme tous les capitaines de ces temps de merveilles, mais plus patient que la plupart d’entre eux, le Portugais s’élança audacieusement vers l’ouest, découvrit les Mariannes, qu’il appela îles des Larrons (Ladrones), et toucha aux Philippines, où il périt victime de son courage.

Il est à remarquer que partout où est établi le tribunal de l’inquisition, l’esprit des découvertes se trouve arrêté, et par suite le progrès des arts et des sciences ; partout aussi où les Espagnols et les Portugais ont assis leur pouvoir, les persécutions ont fait des esclaves et n’ont pas un allié. Toute conquête du Portugal ou de l’Espagne a d’abord été tentée par le Christ ; le glaive n’a été que son auxiliaire. Quant à la persuasion, c’est là une arme dont ces deux nations n’ont jamais voulu faire usage, et vous comprenez pourquoi les progrès ont été lents et pénibles, car les sublimités de notre religion mal expliquée ne trouvaient que des incrédules, et les bras se mettent d’accord avec l’intelligence pour toute rébellion.

Les Carolines et les Mariannes avaient été découvertes ; ces îles si fertiles étaient peuplées d’hommes assez industrieux, dont le caractère avait paru bon et confiant. Manille commençait à devenir une colonie florissante, et c’est de là que partirent les navires qui résolurent la conquête de cet archipel. Joseph de Quiroga fut le premier Espagnol qui chercha aies soumettre. Il était vif, bouillant, impétueux ; il ne connaissait aucun de ces sentiments de générosité qui, plus que les armes, gagnent les esprits et soumettent les cœurs. Aussi dur envers lui-même qu’envers ses soldats, il s’exposait aux mêmes dangers, bravait les mêmes souffrances ; il punissait par sa défaveur une action timide, et réprimait les murmures par de cruels châtiments. Plusieurs fois il eut à apaiser des révoltes, et partout sa présence d’esprit et son impétueux courage lui valurent de grands succès. La résistance des naturels était un outrage pour son âme altière ; le carnage qu’il en faisait lui ouvrit toutes les