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voyage autour du monde.

pagne. La science, qui avait établi ses stations à Valence, à Denia et autres lieux, se vit traquée comme si elle eût voulu servir de signaux aux troupes ennemies. Un homme à qui l’Institut de France venait de confier de si savantes opérations fut arrêté comme espion, traîné de cachot en cachot, jugé, condamné à mort. Échappé des prisons de Palamos, il se sauva en Afrique, où il erra longtemps en fugitif, gardant toujours auprès de lui les précieux résultats des travaux qui lui avaient été confiés. Il repartit enfin pour sa patrie, après avoir, par un bonheur inouï, passé inaperçu au milieu de la vigilante escadre anglaise qui bloquait tous nos ports et foudroyait nos côtes.

Cet homme, encore enfant, avait nom François Arago.

À peine les Baléares eurent-elles glissé derrière nous, qu’un triste et douloureux spectacle nous appela tous sur le pont. La mort venait de frapper un de nos jeunes et courageux élèves de marine, M. Prat-Bernon, parti le cœur plein d’espérance et de joie. Hélas ! c’était lui, studieux et brave, qui commençait cette série d’amères douleurs dont nous devions être frappés pendant notre longue campagne. Déjà ! se disait-on de toutes parts ; et les cœurs se serrèrent, et les yeux se mouillèrent de larmes : nous n’étions pas encore façonnés aux catastrophes.

Un cadavre est là, dans la batterie, sur un cadre balloté par le roulis et le tangage. Deux hommes vont le visiter, ils le toisent, et découpent, à