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souvenirs d’un aveugle.

dition même des souterrains inférieurs ne déterminerait pas la prise de la place, car la mine jouerait et vous engloutirait sous mille et mille débris de roc, de bronze et de fer. Ce que vous avez le plus à craindre, ce n’est pas ce que vous voyez ; l’angle sous lequel vous vous croyez à l’abri est dentelé de petites embrasures cachées dans les anfractuosités du roc, où le fusil joue le principal rôle, et la mort vous arrive de droite, de gauche et de face, sans que vous sachiez d’où vient de plomb qui vous fait tomber. Les officiers qui nous accompagnaient dans notre visite étaient fiers de notre admiration, et semblaient nous dire que leur pays ne serait jamais déshérité de ce formidable boulevard de la Méditerranée, et serait maître, quand il le voudrait, de tout le commerce du Levant. Ces messieurs avaient oublié Malte et le court séjour qu’y fit Bonaparte à la glorieuse époque de nos conquêtes républicaines. Nous le leur rappelâmes sans trop de façons.

Le rocher de Gibraltar a 1340 pieds de haut sur une longueur de plus de 6,000.

La cité qu’il protége est petite, étroite, raboteuse ; peu de maisons se font remarquer par un extérieur propre et coquet. Quelques-unes cependant sont d’une assez belle apparence, surtout vers la pointe d’Afrique, où l’air est plus libre et où les riches Anglais ont établi leur domicile.

Il y a douze mille âmes à Gibraltar, si l’on peut donner ce nom à ces Espagnols dégénérés qui, pour quelques réaux, traînent le matin d’énormes ballots, s’attellent à de lourdes charrettes, et se reposent le reste de