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souvenirs d’un aveugle.

pourvoyeur du requin, par un frétillement plus rapide, dit à son maître qu’il y a là une proie facile. Le vorace animal s’élance aussitôt, se retourne sur le dos pour mordre avec plus de sûreté, il serre avec force le

fer aigu, dont la pointe pénètre dans les chairs et sort toute rouge par la mâchoire supérieure. Le monstre a beau s’agiter, plonger, se tordre et remonter à la surface, il nous appartient désormais ; et nous voilà tous pesant sur lui, l’arrachant de son domaine et le jetant prisonnier et vaincu sur le pont, dont il frappe les bordages avec violence. Le pilote ne l’a pas abandonné ; fidèle au souverain qu’il s’est volontairement imposé, il se cramponne au ventre du requin et vient généreusement mourir avec lui.

Cependant plusieurs de nos matelots, heureux de cette capture, se sont munis de haches tranchantes et ont commencé leur œuvre de dissection avec des cris d’enfant, car ils n’avaient pas compté sur du poisson frais pour dîner. En deux coups, Marchais a séparé le corps de la queue au-dessus de la dernière nageoire, et un aviron placé à l’instant même dans la bouche du requin est broyé sous son triple rang de dents fortes, aiguës