Cependant l’heure est venue, la batterie est déserte, le pont se peuple, les visages sont gais et rayonnants. Tout à coup les fouets sifflent, les trompettes sonnent ; et de la grande hune descend un luron botté, éperonné, s’avançant avec gravité vers le banc de quart et demandant d’un ton impérieux le chef de l’expédition.
— Qu’il accoste sur-le-champ ! ajoute-t-il ; j’ai affaire à lui, ou plutôt il a affaire à moi.
Notre commandant, humble et soumis, se présente bientôt revêtu de son grand uniforme.
— Que voulez-vous ? dit-il au courrier.
— Te parler.
— J’écoute.
— Que viens-tu faire dans les parages du roi de la ligne ?
— Des observations astronomiques.
— Bêtise !
— Et compter les oscillations du pendule pour déterminer l’aplatissement de la terre dans toutes ses régions.
— Que c’est plat !
— Étudier aussi les mœurs des peuples.
— On s’en bat l’œil, des mœurs à étudier ! Qu’est-ce que peut te rapporter tout ça ?
— De la gloire.
— Et la gloire donne-t-elle du vin, du rhum, de l’eau-de-vie ?
— Non, pas toujours.
— Alors je me fiche de ta gloire comme d’une chique usée ! Au surplus, c’est votre affaire, à vous tous, pékins de l’état-major, qui vous dorlotez dans vos cabines quand nous sommes trempés comme des canards. Mais il s’agit d’autre chose en ce moment. Maître Fouque, roi de la ligne, t’écrit ; je suis son courrier, voici sa lettre. Sais-tu lire ?
— Un peu…
— Mon neveu. Tiens, j’attends ta réponse.
L’épître était ainsi conçue :
« Capitaine, je veux bien que ta coquille de noix aille de l’avant, si toi et ton piètre état-major consentez à vous soumettre aux lois de mon empire. Y consentez-vous ? Largue tes voiles, hisse tes bonnettes et file tes douze nœuds. Si tu n’y consens pas, paravire, lof pour lof, et navigue à la bouline !
Signé Fouque, second maître d’équipage de la corvette, actuellement roi de la ligne. »
— Je connais mon devoir, répond le capitaine ; dès ce moment je suis le sujet du roi ton souverain.
— À la bonne heure ! Sais-tu marcher la tête en bas, les pieds en haut !
— J’apprendrai.