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souvenirs d’un aveugle.

Plongés dans la baille, ils ne parvenaient à en sortir qu’après les efforts les plus inouïs, les contorsions les plus grotesques ; et les énergiques jurons frappaient les airs, et les éclats de rire se mêlaient aux jurons, et les bons mots de cabaret se croisaient sans que pas un martyr eût osé se fâcher. C’était une joie bruyante, tumultueuse, une joie de matelot en délire qui oublie que là et là, sous ses pieds, sur sa tête, il y a une mer et un ciel dont le caprice et le courroux peuvent le broyer et l’engloutir aujourd’hui ou demain. Hélas ! ces heures sont si courtes à bord que je ne vis pas sans un vif regret l’horizon se charger de nuages et la cérémonie près d’être close par une bourrasque ou une tempête.

Mais un incident inattendu devait varier encore les émotions de la journée. Un nom répété plusieurs fois reste sans réponse ; on se questionne, on s’émeut, on s’agite, on fouille de tous côtés, dans les hunes, sous les câbles ; on descend dans la batterie, et l’on apprend enfin qu’un profane, fier de son état de cuisinier, est décidé à tout prix à s’affranchir de la règle commune. — Tout le monde à la batterie !… crie une voix formidable. Et la batterie est aussitôt envahie par les écoutilles et les sabords. — Sur le pont ! sur le pont !… à cheval sur la bascule ! Point de grâce ! Point de merci ! Que la noyade soit complète ! s’écrie-t-on de toutes parts, qu’il en perde la respiration !

Dans la batterie, en effet, était un héros, cuisinier de l’état-major, lequel avait juré en partant de ne pas recevoir le baptême, et qui aurait