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souvenirs d’un aveugle.

resque, ses coupoles et ses ciselures ; ni même le Bosphore avec ses immenses dômes, ses kiosques et ses minarets jusqu’aux nues, n’offrent à l’œil étonné un plus magnifique panorama. À droite, à gauche, devant nous, derrière nous, une nature puissante étale ses coquettes richesses de toute l’année, des arbres d’une hauteur surprenante, des îles joyeuses, semées pour ainsi dire dans toute l’étendue de cette masse d’eau limpide sur laquelle passent et repassent des myriades de papillons voyageurs, gris, jaunes, rouges, diaprés ; un ciel plus haut, peuplé de perroquets, criards et d’élégantes perruches, de goëlands et d’essaims nombreux et craintifs d’oiseaux-mouches, qu’on prendrait pour des abeilles s’ils n’étaient trahis par l’or, les émeraudes et les rubis de leur plumage ; et puis des anses dominées par des églises à l’architecture bizarre ; de délicieuses habitations éparses çà et là, à demi voilées en quelque sorte par des plantations de palmistes et les larges parasols des bananiers ; et puis encore des milliers de pirogues, allant d’une praya à l’autre, lancées à l’aide de la courte pagaie du nègre esclave, qui hurle son chant national pour se donner du courage : vous voyez encore là une immense forêt de mâts et de pavillons de tous les pays du monde, une ville grande et belle, un superbe aqueduc qui la domine et l’alimente ; dans le lointain, posées là comme une barrière puissante aux envahissements de l’Atlantique, les montagnes des Orgues avec leurs aiguilles si aiguës et si régulières, qu’on les dirait taillées par la main des hommes. Oh ! tout cela est magnifique, imposant, radieux, tout cela ne peut se décrire, c’est assez de l’admirer.

À peine est-on arrivé dans un pays nouveau que l’on veut tout voir, tout étudier, tout connaître, les fleuves et leurs richesses cachées, la terre et ses trésors, les hommes et leurs mœurs. On craint de manquer d’air ou de courage, ou de patience : les heures volent si vite dans l’étude et la méditation.

Voici donc le Brésil, terre féconde parmi les plus fécondes du globe ; on dirait une nature à part, une nature privilégiée. Pour s’enrichir, la cupidité n’a qu’à fouiller le sol ; pour vivre l’homme n’a qu’à respirer, car la brise de mer, qui souffle le matin, vous donne des forces contre la chaleur du jour ; et le vent de terre, qui a traversé les hautes montagnes de l’intérieur, vous fait vite oublier le soir la température d’une zone écrasante.

Ici nagent trop de poissons dans les rivières, trop d’oiseaux volent à l’air, trop de fruits pèsent sur les arbres, trop d’insectes glissent sous l’herbe. Ici les montagnes cachent des pierres précieuses, les ruisseaux roulent des paillettes d’or et des diamants aussi beaux que ceux de Golconde. Au Brésil, point de ces maladies épidémiques ou contagieuses qui déciment les populations, et dont le souvenir seul est un fléau.

Si vous aimez une vie indolente et tranquille, si pour vous le repos est