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SOUVENIRS D’UN AVEUGLE

casion, iront à vous, le front haut, la parole claire et brève, et vous diront : « J’ai soif, un verre de in si ça vous va. » Vous connaissez Petit, taillé comme le portrait que j’esquisse ; eh bien ! ce brave garçon n’était pourtant, sous ce rapport, que le numéro deux de l’Uranie ; Rio était le numéro un. Donc, ce Rio, sur qui j’aurais tant de choses à vous dire et dont je ne veux pas réveiller la cendre, regardait comme un jour de fête la présence de madame Freycinet sur le pont, et dès que l’élégante capote de satin blanc se dessinait sur le vert tendre des parois de la dunette, Rio se présentait, et disait en tirant de l’index et du pouce une mèche de ses rares cheveux :

— Vous êtes bien belle, madame ! belle comme une dorade qui frétille ; mais ça ne suffit pas : quand on est aussi belle, il faut être bonne, et cane dépend que de vous. C’est aujourd’hui mon anniversaire (chaque jour était l’anniversaire de la naissance de Rio !, j’ai soif, bien soif ; l’air est lourd ; je viens de la barre du grand cacatois, ousque j’étais en punition, et me v’là ; j’ai soif, humectez-moi le gosier ; Dieu vous le rendra en pareille occasion, et Rio vous dira merci.

— Mais, mon enfant, cela te ferait mal, cela le griserait.