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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/44

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SOUVENIRS D’UN AVEUGLE

Méditez cette admirable réponse.

— Votre pays est donc pauvre ?

— On a de la peine à y vivre ; mais nous ne manquons pourtant jamais de poisson.

— Avez-vous des coqs, des poules, des cochons ?

— Presque pas.

— Pourquoi ne tentez-vous pas d’en nourrir ?

— Je ne sais ; nous avons cependant essayé, mais ça ne nous a pas trop réussi.

— Est-ce le hasard qui vous a fait venir aux Mariannes ?

— On dit chez nous que c’est un pari de deux pilotes. Une femme devait appartenir à celui qui irait le plus loin avec son pros-volant ; tous deux arrivèrent à Rotta et s’y arrêtèrent.

— À leur retour, à qui appartint la femme ?

— À tous les deux.

— Auquel des deux d’abord ?

— Notre histoire ne le dit pas.

— Dit-elle au moins si les deux navigateurs retrouvèrent aisément leur pays ?

— Oui, très-aisément, comme nous le retrouvons aujourd’hui.

— Perdez-vous beaucoup de vos embarcations dans ces voyages si souvent répétés ?

— Oui, une ou deux chaque cinq ou six ans.

— Mais ce sont là des bonheurs inouïs !

— Vous savez comme nous naviguons, comme nous nageons et comme nous relevons nos pros quand ils ont chaviré. Et puis nous avons nos prières aux nuages qui nous sauvent.

— C’est juste ! je l’avais oublié.

Toujours la religion dans leur vie !…

— Comment vous guidez-vous en mer ?

— Avec le secours des étoiles.

— Vous les connaissez donc ?

— Oui, les principales, celles qui peuvent nous aider.

— N’en avez-vous pas une surtout sur laquelle vous vous reposez avec plus de confiance ?

— Si, c’est ouéléouel, autour de laquelle toutes les autres tournent.

Nous étions stupéfaits.

— Qui vous a appris cela ?

— L’expérience.

Et là-dessus, à l’aide de grains de maïs que nous fîmes apporter, le savant tamor plaça la polaire (ouéléouel), fit pirouetter les autres étoiles de la grande Ourse autour, figura sur une table, avec une exactitude qui aurait fait bondir de surprise et de joie un certain astronome français dont le nom ne