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Comment ces colons, imbus des injustes préjugés de la couleur, auraient-ils pu être justes envers les mulâtres et les nègres libres, puisque ces préjugés les portèrent à refuser, même aux blancs mésalliés, la qualité de citoyens actifs[1] ?

Et l’assemblée nationale elle-même, cette constituante souveraine, en mettant, par l’article 6 du décret du 8 mars, les colons et leurs propriétés sous la sauvegarde spéciale de la nation, en déclarant criminel, envers la nation, quiconque travaillerait à exciter des soulèvemens contre eux, l’assemblée nationale ne maintenait-elle pas le régime colonial dans toute son intégrité ? Cette disposition comminatoire n’avait-elle pas pour but d’effrayer les hommes de couleur, s’ils avaient l’intention de s’armer contre les blancs ou d’unir leur cause à celle des noirs ? N’était-elle pas encore à l’adresse de la société des Amis des noirs, accusée par les colons de rêver au soulèvement des esclaves ? La secrète intention de cette assemblée n’était donc pas de favoriser les justes prétentions des hommes de couleur.

Les colons se voyaient ainsi rassurés contre toute entreprise de leur part. Ils recevaient alors un bill d’indemnité pour tous les excès, pour tous les forfaits commis par eux, depuis plusieurs mois, contre les esclaves et contre les hommes de couleur. Placés désormais sous la sauvegarde spéciale de la nation, ils n’avaient plus de ménagement à garder envers les opprimés.

En vertu de ce décret, l’assemblée générale appela les habitans blancs à confirmer ses pouvoirs. Son propre décret du 28 mai flattait trop leurs prétentions, pour

  1. Rapport de Garran, tome 2, pages 29 et 30.