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saire national civil, il suffisait que j’avais donné cet avis (qui aurait bien moins coûté, et on aurait évité tous les malheurs qui sont arrivés) pour qu’il ne fût pas adopté. Les habitans disaient alors : Nous aimons mieux tout perdre que de consentir à la liberté d’un seul nègre. Je voyais le mal qui se préparait ; je voulais le bien, et voulais l’opérer au péril de ma vie ; mais, monsieur, que d’entraves, que de résistances n’ai-je pas trouvées ! que d’orgueil, que de préjugés il fallait encore vaincre, malgré que la loi du 4 avril était promulguée[1]!…


Tel fut l’heureux résultat obtenu par l’insurrection des noirs dans le Sud, secondé, appuyé de l’influence morale et politique des hommes de couleur admis à l’égalité des droits avec les blancs. Le premier usage que font ces hommes des droits qui leur sont reconnus par la loi du 4 avril, c’est d’obtenir la consécration de la liberté, — dans l’Ouest, en faveur de cent quarante-quatre des principaux chefs parmi les noirs insurgés, — dans le Sud, en faveur de sept cents.

Dans la première de ces provinces, les nouveaux affranchis sont enrôlés dans la gendarmerie ; dans la seconde, ils sont également enrôlés en un corps de troupes destinées à maintenir l’ordre et le travail des ateliers. Bientôt on verra ces derniers former le noyau de la légion de l’égalité créée dans le Sud, à l’instar de la légion également formée au Port-au-Prince, par Polvérel et Sonthonax.

Le lecteur comprend mieux maintenant la cause de l’influence exercée par les hommes de couleur, mulâtres et nègres libres, sur les nègres encore esclaves, mais qui arrivèrent un an après à la liberté générale comme leurs frères, tant dans le Nord, dans l’Ouest que dans le Sud. Il comprend pourquoi les révoltes successives des nègres dans ces deux dernières provinces furent exemptes des

  1. Pièces justificatives annexées au Rapport de Roume, p. 63.