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d’hui malheureux, ruiné, déshonoré et victime de mes services ; que votre sensibilité touche à ma position. Vous êtes trop grand de sentiment et trop juste, pour ne pas prononcer sur mon sort. Je charge le général Cafarelli, votre aide de camp, de vous remettre mon rapport (le mémoire). Je vous prie de le prendre en grande considération. Son honnêteté, sa franchise, m’ont forcé de lui ouvrir mon cœur.
Salut et respect,
Toussaint Louverture.
Au cachot du fort de Joux, ce 7 vendémiaire an XI (29 septembre).
Général et Premier Consul,

Je vous prie, au nom de Dieu, au nom de l’humanité, de jeter un coup-d’œil favorable sur ma réclamation, sur ma position et ma famille ; employez donc votre grand génie sur ma conduite et la manière dont j’ai servi ma patrie, sur tous les dangers que j’ai courus en faisant mon devoir. J’ai servi ma patrie avec fidélité et probité : je l’ai servie avec zèle et courage ; et j’ai été dévoué à mon gouvernement. J’ai sacrifié mon sang et une partie de ce que je possédais pour la servir, et malgré mes efforts, tous mes travaux ont été en vain.

Vous me permettrez, Premier Consul, de vous dire avec tout le respect et la soumission que je vous dois, que le gouvernement a été trompé entièrement sur le compte de Toussaint Louverture, sur un de ses plus zélés et courageux serviteurs à Saint-Domingue. J’ai travaillé longtemps pour acquérir l’honneur et la gloire de mon gouvernement et pour attirer l’estime de mes concitoyens, et je suis aujourd’hui couronné d’épines et de l’ingratitude la plus marquée, pour récompense. Je ne désavoue pas les fautes que j’ai pu faire et je vous en fais mes excuses. Mais, ces fautes ne valent pas le quart de la punition que j’ai reçue, ni les traitemens que j’ai essuyés.

Premier Consul, il est malheureux pour moi de n’être pas connu de vous ; si vous m’aviez connu à fond, pendant que j’étais à Saint-Domingue, vous in auriez rendu plus de justice ; mon intérieur est bon. Je ne suis pas instruit, je suis ignorant ; mais mon père qui est aveugle maintenant, m’a montré le chemin de la vertu el de la probité, et je suis très-fort de ma conscience à cet égard, et si je n’avais pas eu l’honneur d’être dévoué à mon gouvernement, je ne serais pas ici, et c’est une vérité !

Je suis malheureux, misérable et victime de tous mes services. J’ai été toute ma vie eu activité de service, et depuis la révolution du