Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/129

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mais il ne se pouvait point que je ne trouvasse pas un instant. Je fus pourtant près de huit jours sans avoir l’occasion de lui parler seul. Enfin ce moment fortuné arriva.

Je la rencontrai dans l’appartement de sa mère, avec sa fille de chambre ; elle étudiait le rôle de Junie. Il y a de l’indiscrétion, lui dis-je, à vous détourner ; mais lorsqu’on est entraîné par un penchant plus fort que soi, on est excusable. Du ton sérieux dont vous débutez, me dit-elle en riant, notre conversation ne sera pas gaie ; souffrez que j’appelle ma mère, qui est, dans la chambre voisine, occupée à quelques affaires du ménage ; elle y répandra bien plus d’enjouement : aussi bien n’êtes-vous gai que lorsque vous êtes auprès d’elle. Quoi, lui dis-je, vous m’enviez donc le plaisir de vous dire une fois que je vous adore ! Est-ce un si grand crime que de vous aimer ? Si ce n’est pas un crime, me répondit-elle, du moins je sens que je fais mal de vous écouter. Croyez-moi, cessons une conversation qui nous gênerait tous deux. Non, non, poursuivis-je, je ne saurais plus me contraindre ; il-faut que je vous avoue que je suis l’homme du monde le plus malheureux, si vous n’avez pour moi que de la haine. Je n’ai