Page:Aristote - La Morale d’Aristote, Ladrange, 1856.djvu/1222

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jouit mieux qu’aucun monarque du monde. § 7[1]. De même, on ne voudrait pas non plus la vie pour le simple plaisir d’y dormir ; car, je vous prie, quelle différence y a-t-il à dormir du premier jour jusqu’au dernier pendant une suite de mille années et plus, ou de vivre comme une plante ? Les plantes n’ont que cette existence inférieure, comme l’ont aussi les enfants dans le sein maternel ; car du moment qu’ils sont conçus dans les entrailles de leur mère, ils y demeurent dans un perpétuel sommeil.

§ 8[2]. Tout ceci nous prouve évidemment notre ignorance et notre embarras à savoir ce qu’il y a de bonheur et de bien réel dans la vie. § 9[3]. Aussi dit-on qu’Anaxagore répondit à quelqu’un qui lui proposait tous ces doutes, et qui lui demandait quel motif aurait l’homme de préférer l’existence au néant : « Son motif, c’est de pouvoir contempler les cieux, et l’ordre admirable de l’univers entier. » Le philosophe pensait donc que l’homme ferait bien de préférer la vie uniquement en vue de la science qu’il y peut acquérir. § 10[4]. Mais ceux qui admirent le bonheur d’un Sardanapale, d’un Smindyride le Sybarite, ou de tel autre personnage fameux qui n’a cherché dans la vie que de continuelles délices, tous ces gens-là

  1. Pour le simple plaisir d’y dormir. Voir une opinion analogue sur le bonheur des Dieux, qui n’ont pas le sommeil éternel d’Endymion, Morale à Nicomaque, livre X, ch. 8, § 7. — Une plante… les enfants… Ces comparaisons ne sont pas indignes d’un grand naturaliste comme l’était Aristote.
  2. Notre ignorance. C’est trop dire ; « notre embarras » est plus juste.
  3. Aussi dit-on qu’Anaxagore. Voir plus haut dans le chapitre précédent, § 4. Cette approbation donnée à la belle réponse d’Anaxagore est un peu en contradiction avec le dédain de la vie qui vient d’être exprimé.
  4. Tous ces gens-là. Telles sont les opinions du vulgaire, dont on doit en effet tenir assez peu de compte.