mais ils sont politiquement indisciplinables, et n’ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont plus d’intelligence, d’aptitude pour les arts ; mais ils manquent de cœur, et ils restent sous le joug d’un esclavage perpétuel. La race grecque, qui topographiquement est intermédiaire, réunit toutes les qualités des deux autres. Elle possède à la fois l’intelligence et le courage. Elle sait en même temps garder son indépendance et former de très bons gouvernements, capable, si elle était réunie en un seul État[1], de conquérir l’univers.
§ 2. Dans le sein même de la Grèce, les divers peuples présentent entre eux des dissemblances analogues à celles dont nous venons de parler : ici, c’est une seule qualité naturelle qui prédomine ; là elles s’harmonisent toutes dans un heureux mélange. On peut dire, sans crainte de se tromper, qu’un peuple doit posséder à la fois intelligence et courage, pour que le législateur puisse le guider aisément à la vertu. Quelques écrivains politiques[2] exigent de leurs guerriers affection pour ceux qu’ils connaissent, et férocité contre les inconnus ; c’est le cœur qui produit en nous l’affection, et le cœur est précisément
- ↑ Réunie en un seul État. Cette pensée d’Aristote a sans doute quelque rapport aux entreprises politiques des rois de Macédoine. Ce fut Alexandre qui réussit enfin à réunir la Grèce en un seul État ; et ce fut là, en quelque sorte, la condition préalable de sa grande expédition.
- ↑ Quelques écrivains politiques. C’est de Platon qu’Aristote veut ici parler. Voir la République, liv. II, p. 101, trad. de M. Cousin ; mais Platon dit « dureté », comme Aristote plus bas, et non point « férocité », comme Aristote ici le lui fait dire. Aussi des commentateurs ont-ils reproché à Aristote d’attaquer Platon peu loyalement : cette accusation n’est pas très-juste, comme la suite même de la pensée suffit à le prouver. Voir plus haut, liv. IV, ch. ii, § 16, une remarque analogue.