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Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/362

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et pour en bien juger, [on montre du discernement.] De là est venu le mot grec σύνεσις (discernement ou coup-d’œil), d’où l’on a fait εὐσύνετος (intelligent), à cause de l’analogie de signification [entre συνιέναι, comprendre, et μανθάνειν apprendre], car apprendre est souvent pris dans le sens de comprendre.

XI. Ce qu’on appelle jugement[1] est la faculté qui fait les hommes judicieux et de bon sens, et Consiste dans un juste discernement de ce qui est équitable. La preuve, c’est que nous regardons l’homme équitable comme essentiellement indulgent[2] ; et nous reconnaissons la juste appréciation des choses à ce caractère d’indulgence. Or, l’indulgence est un jugement exact et juste de ce qui est bien ; et ce jugement est juste, quand il est conforme à ce qui est vrai. Au reste, on ne saurait méconnaître, dans toutes ces habitudes ou dispositions, une même tendance ; car le jugement est

  1. Voy. M. M. ; l. 2, c. 2.
  2. On voit assez que je donne ici au mot indulgent un sens un peu différent de celui qu’il a communément dans notre langue. Le mot grec συγγνώμων, que je traduis ainsi, a bien plus d’analogie avec γνώμη (jugement, sentence, etc.) et semble mieux approprié à l’idée qu’il exprime. C’est celle d’un homme qui entre, en quelque manière, dans la pensée des autres, qui apprécie avec justice leurs motifs ou leurs sentiments ; et qui, par cette raison, s’abstient de ce degré de sévérité qui cesserait d’être de la justice. Qu’on me permette donc de donner au mot indulgent, dans cette circonstance, la signification que je viens de dire, puisque notre langue ne me fournit pas de meilleure expression.