Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/532

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celui qui souffre et de ce qui est propre à lui causer du plaisir ou de la peine.

Cependant, on s’afflige de sentir que nos malheurs puissent attrister ceux qu’on aime ; car il n’est personne qui n’évite d’être une cause d’affliction pour ses amis. Voilà pourquoi les hommes qui ont naturellement un caractère ferme et courageux, craignent de voir leurs amis s’affliger avec eux ; et, à moins qu’on ne soit d’une insensibilité peu ordinaire[1], on ne supporte pas l’idée de la peine qu’on peut leur faire. En général, l’homme courageux, peu disposé à s’abandonner lui-même aux plaintes et aux gémissements, a de l’éloignement pour ceux qui sont toujours prêts à pleurer sur les malheurs des autres ; au lieu que les femmelettes, et les hommes qui leur ressemblent, sont flattés qu’on gémisse avec eux, et ne regardent comme amis que ceux qui souffrent de leurs douleurs. Or, en tout genre, ce sont toujours les meilleurs modèles qu’il faut suivre.

La prospérité fait que l’on trouve beaucoup de charme dans la présence, dans le commerce habituel de ceux qu’on aime, et aussi dans la pensée qu’ils sont heureux du bonheur dont on jouit. Par

  1. Cet endroit a été diversement interprété par les différents commentateurs, et le texte n’est pas, en effet, assez clair pour ne pas laisser un peu de doute dans l’esprit, quelque sens qu’on adopte. Celui auquel je me suis arrêté me semble plus conforme aux expressions mêmes d’Aristote ; mais la pensée n’a pas, à mon avis, toute la justesse désirable.