Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/160

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le plus favorable ; par exemple, l’homme colère et porté à la fureur deviendra un homme tout d’une pièce l’homme hautain, un personnage de grand air et imposant. Ceux qui portent tout à l’extrême passeront pour se tenir dans les limites de la vertu[1]. Ainsi le téméraire sera un brave ; le prodigue, un homme généreux ; et, en effet, le grand nombre le prendra pour tel. D’ailleurs, la force de ce paralogisme prendra sa source dans la cause en question. Car, si un tel brave le danger sans nécessité, à plus forte raison le fera-t-il lorsqu’il sera beau de le faire, et s’il est capable de faire des largesses au premier venu, à plus forte raison en fera-t-il à ses amis, car c’est le plus haut degré de la vertu que de rendre service à tout le monde.

XXX. Il faut considérer aussi devant qui on fait un éloge. En effet, comme le disait Socrate, « il n’est pas difficile de louer les Athéniens dans Athènes. » Il faut aussi avoir égard à ce qui est en honneur devant chaque auditoire ; par exemple, ce qui l’est chez les Scythes, chez les Lacédémoniens, ou devant des philosophes ; et, d’une manière générale, présenter ce qui est en honneur en le ramenant à ce qui est beau, car l’un, ce semble, est bien près de l’autre.

XXXI. Il faut considérer, en outre, tout ce qui se rattache au devoir, et voir, par exemple, si les choses sont dignes des ancêtres et des actions antérieurement accomplies, car c’est un gage de bonheur, et il est beau d’acquérir un surcroît d’honneur. Et encore si, indépendamment de ce que réclame le devoir, le fait (loué) s’élève à un degré supérieur dans le sens du bien et du beau ; par exemple, si un tel montre de la modé-

  1. On sait que, pour Aristote, « in medio stat virtus. »