Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/225

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dent qu’il faut tourner dans le sens opposé les considérations qui précèdent. Ce qui nous porte à la haine ce sont la colère, la vexation et la médisance.

XXXI. La colère a son origine dans ce qui nous touche personnellement, tandis que la haine est indépendante de ce qui se rattache à notre personne ; et en effet, il suffit que nous lancions telle imputation contre un individu pour que nous le prenions en aversion. De plus, la colère s’attaque toujours à telle personne en particulier [1], par exemple, à Callias ou à Socrate, tandis que la haine peut atteindre toute une classe de gens ; ainsi, chacun de nous a de l’aversion pour le voleur et le sycophante. L’une de ces passions peut guérir avec le temps, mais l’autre est incurable ; l’une cherche plutôt à causer du chagrin, et l’autre à faire du tort. L’homme en colère veut qu’on sente son action, tandis que, pour celui qui a de la haine, ce point est sans importance : or tout ce qui est pénible affecte notre sensibilité, tandis que les plus grands de tous les maux sont, en même temps, ceux dont on a le moins conscience ; je veux dire l’injustice et la démence. En effet, la présence d’un vice ne cause aucune douleur. De plus, l’une (la colère) est accompagnée de peine [2], et l’autre (la haine) ne l’est pas ; car celui qui se met en colère éprouve de la peine, mais celui qui hait, non. Le premier, à la vue de maux nombreux soufferts par son adversaire, pourrait être saisi de pitié, mais le second, dans aucun cas.

XXXII. On voit donc, d’après ce qui précède, qu’il est possible de démontrer le caractère amical ou hostile d’une personne lorsqu’il existe réellement ; et, lorsqu’il n’existe pas, de le faire concevoir ; et, lorsque quelqu’un

  1. Cp. chap. II, § 2.
  2. Cp. chap. II, § 1.