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grande dignité. Tout cela fait naître une pitié d’autant plus vive qu’il nous semble que les faits se passent près de nous, soit que le sort du patient nous semble immérité, soit que l’épreuve subie par lui nous semble avoir eu lieu sous nos yeux.


CHAPITRE IX


De l’indignation.


I. L’opposé de la pitié, c’est principalement l’indignation ; car il y a opposition entre la peine que nous cause un malheur immérité et celle que, dans un même sentiment moral, nous éprouvons à la vue d’un succès immérité ; et, dans les deux cas, ce sentiment est honnête.

II. En effet, il nous arrive nécessairement de compatir et de nous apitoyer quand le sort immérité est un échec, et de nous indigner quand c’est un succès : car ce qui a lieu contrairement à notre mérite est injuste ; voilà pourquoi nous attribuons aux dieux même le sentiment de l’indignation [1].

III. L’envie pourrait sembler, au même point de vue, être l’opposé de la pitié, comme se rapprochant de l’indignation et s’identifiant avec elle ; mais c’est autre chose. Il y a bien aussi, dans l’envie, un chagrin qui nous trouble et que suscite aussi la vue d’un succès ; seulement ce n’est pas, alors, le succès d’un indigne qui nous affecte, mais celui d’un égal ou d’un semblable. C’est cette considération, non pas qu’il nous arrivera autre chose, mais que cette chose nous arri-

  1. Némésis est la personnification divinisée de ce sentiment.