Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/320

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sur l’Art d’exciter la pitié. La faculté hypocritique est une faculté naturelle et indépendante de l’art[1] ; mais, rattachée à l’élocution, elle en devient dépendante. Voilà pourquoi ceux qui ont du talent en ce dernier genre remportent des triomphes à leur tour, comme les orateurs préoccupés de faction ; car les discours écrits valent plutôt par l’expression que par la pensée[2].

VIII. Ce furent les poètes qui les premiers commencèrent à provoquer les mouvements de l’âme [3], et c’était naturel ; car les dénominations sont des imitations, et la voix est chez nous la partie la plus apte de toutes à l’imitation : c’est ce qui a donné naissance à la rapsodie, à l’hypocritique et à d’autres arts, du reste.

IX. Mais comme les poètes, tout en ne disant que des futilités, semblaient devoir au style la gloire qu’ils acquéraient, il s’ensuit que le style poétique vint le premier ; tel, par exemple, celui de Gorgias. Et maintenant encore, bien des gens dépourvus d’instruction trouvent que ceux qui le pratiquent sont les plus beaux parleurs ; or cela n’est pas : autre est le langage de la prose, autre celui de la poésie, et un fait le démontre : ceux qui composent des tragédies ne l’emploient pas de la même façon ; mais, de même que, des tétramètres ils sont passés au mètre ïambique[4], parce

  1. Cp. Cicéron, De Oratore, III, fin.
  2. Allusion indirecte, croit-on, aux discours d’Isocrate, lesquels, généralement, ne furent pas prononcés.
  3. Κινἡσαι. Nous avons songé un moment à proposer la correction μιμἡσαι (à imiter), très plausible au point de vue paléographique.
  4. Hexamètre composé d’ïambes et de trochées.