Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/373

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pas dans cette disposition, il n’y a pas besoin de préambule, mais il suffit d’exposer le gros de l’affaire, afin qu’il en possède la tête comme s’il en avait le corps tout entier.

IX. Au surplus, la nécessité de rendre l’auditoire attentif s’impose à toutes les parties (d’un discours), si elle existe[1] ; car l’attention n’est jamais moins relâchée qu’au début. Aussi serait-il ridicule de prendre ce soin quand on commence à parler et que tous les auditeurs prêtent le plus d’attention. Ainsi l’on devra, au moment opportun, s’exprimer en ces termes :

« Et veuillez, je vous prie, m’accorder votre attention, car je n’ y suis pas autant intéressé que vous, » ou encore : « Je vais dire une chose si terrible, que vous n’en avez jamais entendu de telle, ni de si surprenante. » C’est ainsi que Prodicus, voyant que ses auditeurs s’endormaient, leur fit remarquer en passant qu’il s’agissait pour eux de cinquante drachmes[2].

X. Il est évident que l’on ne s’adresse pas à l’auditeur en tant qu’auditeur, car, dans les préambules, on cherche toujours soit à lancer une imputation, soit à écarter des motifs de crainte :

Si je suis à bout de respiration, prince, je ne tairai pas que c’est d’être venu en toute hâte[3].
— Que signifie ce préambule[4] ?

C’est ainsi que s’expriment les personnes qui ont ou paraissent avoir en main une mauvaise cause. Car, dans ce cas, il est préférable de discourir sur toutes sortes

  1. S’il n’y a pas lieu, au contraire, de distraire l’attention.
  2. Prodicus avait sans doute autour de lui un auditoire qui avait payé 50 drachmes pour l’entendre. Cp. Plat., Cratyle, p. 384 B.
  3. Sophocle, Antig., vers 223.
  4. Euripide, Iphigénie en Tauride, vers 116