Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/125

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mots suivants écrits au crayon : «

A. et moi sommes saufs, 1er septembre, au soir, » et il donne le tout à l’un de ces paysans pour le porter à la poste en Belgique. Pour être courtes, ces lettres-là n’en font pas moins plaisir.

Après avoir longtemps marché, nous rejoignons enfin la route que nous voulions suivre pour gagner Mézières ; elle était coupée. Une ambulance française, que nous rencontrons, nous avertit que l’ennemi est à deux cents mètres de nous et que des patrouilles de uhlans et de cuirassiers allemands parcourent toutes les avenues de la forêt en faisant prisonniers ou en sabrant les soldats isolés ou peu nombreux qu’ils rencontrent. Nous rentrons de nouveau dans les taillis, et, jusqu’à ce que le jour tombe, c’est-à-dire jusqu’à neuf heures du soir, sans manger, sans boire, le corps brisé et l’âme remplie de pensées désolantes, nous restons sur le territoire français. De temps en temps, quelques fuyards nous rejoignent ; ils nous donnent de vagues renseignements qui font pressentir un immense désastre et qui jettent parmi nous la terreur, une terreur folle. En ce moment, chose étrange, bizarre, contradiction de la nature humaine, ces hommes tout à l’heure si braves, ces lions qui avaient vu, sans s’émouvoir, les deux tiers d’entre eux tomber sous la mitraille ou sous les balles, qui seraient tous morts sans reculer d’un pouce, s’enfuyaient à la moindre alerte.

La fièvre du combat était tombée ; l’instinct de la conservation reprenait le dessus. Ils étaient troublés à la voix de l’ennemi ; ils voyaient leur perle prochaine et personne qui put les secourir ; la crainte de la mort s’était abattue sur eux. Un de nos camarades, ayant fait partir par mégarde son fusil qu’il portait