Aller au contenu

Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout chargé sur l’épaule, je vis le moment où il allait être écharpé. Il voulait nous mettre les Allemands sur les bras : c’était un espion chargé de nous conduire dans un traquenard. Le pauvre diable en fut quitte heureusement pour quelques horions sans gravité et nous eûmes le bonheur de ne pas être poursuivis.

Enfin, le soir, tombant de fatigue et d’inanition, nous entrons en Belgique et nous déposons nos munitions et nos armes entre les mains du bourgmestre du petit village de Corbion.

Nous sommes reçus avec des témoignages de sympathie profonde. On nous distribue du pain et du fromage et on nous conduit dans l’école, où nous nous disposons à passer la nuit les uns sur les autres. À onze heures on nous réveille. Les Prussiens ont fait dire qu’ils voulaient bien ne pas nous réclamer, mais qu’ils voyaient un danger dans la présence, si rapprochée des frontières, d’un aussi grand nombre de soldats français ; si, le lendemain, au point du jour, nous sommes encore à Corbion, ils brûleront le village. La menace était un peu forte : il est à croire qu’ils ne l’auraient pas mise à exécution ; mais pour ne causer aucun désagrément aux braves paysans qui nous avaient si bien accueillis, nous nous remettons en marche, et, sous la conduite de deux soldats belges, nous partons pour Bouillon, petite ville où se trouve un antique château fort ayant appartenu à la célèbre famille de ce nom. Le temps était doux, la nuit noire, de gros nuages gris couraient dans le ciel. Nous avions trois grandes lieues à faire par d’horribles sentiers de montagnes, taillés parfois dans le roc et semés presque partout de pierres qui roulaient et blessaient nos pieds endoloris. Nous traversions par moments un bout de prairie. C’était plaisir alors de marcher