Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/160

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sans aliments chauds. Il se rendit à ces raisons ; nous reprîmes notre marche et nous arrivâmes vers dix heures du soir à Saint-Hubert, où un train spécial avait été préparé pour nous emmener. On nous installa dans des wagons à bestiaux. Le sommeil m’était revenu. Je m’étends sur une banquette et je dors à poings fermés jusqu’au jour.

Dans la matinée, nous arrivons à Beverloo. Beverloo est un petit village situé au nord-est de la Belgique, au milieu de landes immenses, couvertes de bruyères et de marécages ; de différents côtés se trouvent quelques bouquets de bois, chênes, bouleaux et sapins mélangés qui ont l’air chétif et rabougri. Le pays, plat, sablonneux, stérile, inspire un profond sentiment de tristesse ; il était à peu près désert avant qu’on eût l’idée d’y installer un camp. Les baraquements des soldats sont en brique et bois, spacieux ; bien aérés et propres.

Au bout de huit longs jours, mon ami et moi nous obtînmes, en échange de notre parole d’honneur de ne pas quitter le territoire où nous étions réfugiés, l’autorisation de vivre dans une ville qui nous fut désignée : c’était Gand. En passant à Bruxelles, nous y retrouvâmes un de nos camarades, jeune ingénieur civil de grand talent. C’était un Lorrain fixé à Paris. Il s’était engagé sans prévenir sa famille. Son père, ayant appris qu’il s’était battu dans les rangs des Lafon-Mocquard à la Chapelle, s’y rendit pour avoir de ses nouvelles. Personne ne put lui en donner dans le village, personne ne le connaissait. Le malheureux père fit ouvrir la tranchée où l’on avait rangé côte côte les cadavres de nos camarades tués dans le combat. Arrivé au quatorzième corps, il se trouva mal et, brisé par l’émotion, il n’eut pas le courage de continuer