Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/49

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adieux à notre hôtesse et nous lui dîmes en riant : « Vous verrez peut-être, dans quelque temps, les Prussiens ici. » Nous croyions plaisanter, nous ne pensions pas que cette prophétie dût se réaliser sitôt et avec tant d’exactitude. Deux mois après, un obus parti du Mont-Valérien traversait les murs de l’hôtel, pour en déloger un avant-poste prussien, et venait éclater dans la pièce même où nous avions dîné le 7 août [1].

  1. Ne quittons pas Bougival sans rappeler le beau trait de patriotisme de François Debergue, l’un de ses habitants, qui mérite d’être donne en exemple à tous les jeunes Français. Au moment où les armées allemandes investissaient Paris, le 46e régiment d’infanterie prussienne vint prendre position à Bougival, et le premier soin de l’état-major fut d’établir une communication télégraphique entre cette localité et le quartier général de Versailles. Le lendemain le fil télégraphique était coupé. Rétabli, il fut de nouveau coupe dans la nuit suivante. L’autorité allemande fit procéder à une enquête et les soupçons se portèrent sur François Debergue. Né le 8 novembre 1810 à Paris, Debergue était jardinier à Bougival depuis de nombreuses années. C’était un homme doux et bon, aimé et estimé dans tout le pays. Il fut arrête le 26 septembre et les Allemands procédèrent sans délai à son interrogatoire. Il avoua ce qui lui était reproche, sans actance, mais avec fermeté, avec la froide intrépidité d’un homme qui a la conviction d’avoir rempli son devoir et qui ne craint pas la mort. « Je suis Français, dit-il, je dois tout entreprendre contre vous. Si vous me rendez à la liberté, je recommencerai. » Condamné à mort par la cour martiale, Debergue fut, au sortir de la mairie où les officiers allemands l’avaient jugé, placé au milieu d’un peloton de vingt-quatre soldats prussiens qui l’emmenèrent sur les hauteurs qui dominent Bougival, lieu marqué pour l’exécution. Son attitude était si résolue, son pas si ferme, son maintien si digne, que l’officier qui commandait le peloton en était ému d’admiration et de pitié. Lorsqu’on s’arrêta, Debergue fut attaché à un pommier ; on lui banda les yeux, et un instant après il tombait sous les balles. Un mois plus tard, le 23 octobre 1870, deux autres habitants de Bougival, Jean-Baptiste Gardon, âgé de quarante-quatre ans, et Jean-Nicolas Martin, âgé de cinquante ans, furent arrêtes par les Prussiens, comme coupables d’avoir tiré contre les troupes allemandes le jour de l’attaque de la Malmaison. On les conduisit à l’endroit où avait déjà été fusillé Debergue. Martin fut attaché au tronc du même pommier et Gardon à un arbre voisin. Un instant après ils étaient morts. Le 22 septembre 1818 on a inauguré solennellement un monument élevé à la mémoire de Debergue, Martin et Gardon. C’est un monolithe en granit, en forme d’obélisque, de cinq mètres de hauteur, acheté avec le produit d’une souscription faite entre les habitants de Bougival.