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Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/81

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Le soir même de ce jour, nous éprouvâmes un traitement tout autre. Nous reçûmes l’ordre de camper auprès du village de Voncq, sur un plateau élevé où se trouvait une ferme isolée. À notre arrivée, le fermier eut le triste courage de couper la corde de son puits de peur que nous ne lui prissions son eau. Cela nous obligea à descendre dans la vallée pour y puiser, à un ou deux kilomètres de là, dans un petit ruisseau l’eau qui nous était nécessaire ; en outre, il refusa de nous laisser prendre, dans un de ses champs, des pommes de terre que nous étions tout disposés à lui payer deux ou trois fois leur valeur. J’appris, quelque temps après, que, le surlendemain de notre passage, les Prussiens avaient brûlé la ferme et maltraité le fermier. J’avoue que je n’en eus que peu de regret. Pour ma part, dans le premier moment d’irritation que me causa l’inconcevable égoïsme de cet homme, il me semble que je l’aurais volontiers pendu avec ce qui restait de la corde de son puits. Certainement, si j’étais chef et que de tels faits vinssent à ma connaissance, je me montrerais impitoyable.

Avant de rentrer sous la tente, nous allâmes, à la tombée de la nuit, faire une petite visite dans le 1er régiment de turcos campé près de nous. Un de mes amis s’était engagé dans ce régiment, qui le premier supporta héroïquement l’effort de l’armée ennemie à Wissembourg, à Frœschwiller, et dont les derniers débris devaient bientôt disparaître à Sedan. Tous mes lecteurs connaissent le turco dont je parle, M. Albert Duruy. Il porte un nom dont l’Université est justement fière, et il a fait preuve, pendant cette malheureuse guerre, du patriotisme le plus ardent et d’une bravoure à toute épreuve. Nous le demandâmes ; il était de grand’garde dans un ravin au bas