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Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/82

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du plateau que nous occupions, à quatre ou cinq cents mètres en avant.

Nous descendimes dans la direction qu’on nous avait indiquée par une pente si rapide qu’il fallait s’accrocher aux buissons pour ne pas tomber, et, en peu d’instants, nous arrivâmes au bivouac. Le spectacle était fantastique. Bien que le ciel fût brillant d’étoiles, la nuit était sombre. Autour d’un feu de branches sèches que l’on ranimait par instants en y lançant quelques brindilles, les officiers causaient. Plus loin, dans la pénombre, on voyait se glisser et surgir à l’improviste à vos côtés des turcos silencieux comme des fantômes, dont les yeux brillants et les dents blanches se détachaient seuls de l’obscurité. On nous accueillit avec joie, on nous fit du café à la manière arabe, que nous servit Abderraman, un noir superbe, conteur infatigable, auquel on demanda dans la soirée le récit des impressions que lui avait laissées le court séjour qu’il venait de faire à Paris et qui les raconta sans se faire prier dans un français incorrect et haché, mais pittoresque et fort amusant. Nous nous assîmes sur un fagot et nous causâmes. Nous causâmes de Paris. Nous apportions des nouvelles fraîches et l’on était bien désireux d’en avoir. On passa en revue les amis communs et l’on eut la satisfaction de voir que beaucoup avaient fait leur devoir. « Un tel ? » – « Il est engagé. » – « Et un tel ? » – « Dans la mobile ; il fait l’exercice toute la journée avec un manche à balai. » Et de rire. Il fait si bon se retrouver et causer des absents.

Mais, malgré tout, la gaieté n’était qu’apparente. Plus la conversation paraissait enjouée, plus on sentait que chacun faisait effort sur lui-même pour paraître ce qu’il n’était pas. Les officiers étaient troublés,