Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à M. P. Bonnefon.djvu/26

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dotes et d’exemples ; il l’insinue plus qu’il ne la formule ; il l’impose insidieusement à la conviction du lecteur, en lui laissant le soin de conclure, et donne ainsi, à un profond calcul, l’apparence de la naïveté.

« Tenter de faire admettre que Montaigne a pu fournir le Contr’un aux protestants, comme arme de guerre, dit M. Bonnefon, c’est faire de lui un révolté, ce qui n’est pas facile ». J’ai déjà répondu en analysant l’état d’esprit probable de Montaigne après la Saint-Barthélémy. Mon contradicteur ne fait aucune allusion aux pages que j’ai consacrées aux idées et aux sentiments de celui qui nous a confié que la cause des réformés « l’avait conciliée à lui, quand il l’a vu misérable et accablée » ; il élude la difficulté par le silence, et se tire d’embarras par une simple affirmation. J’avais essayé de montrer que Montaigne, en dépit de ses nombreuses déclarations conservatrices et orthodoxes, et de son abstention habituelle dans les luttes politiques et religieuses de son temps, a été, en politique aussi bien qu’en religion, l’esprit le plus efficacement émancipateur du xvie siècle, et que ce n’est pas sans raison que depuis trois siècles il est considéré par la plupart des grands esprits comme le principal initiateur de la libre-pensée. J’avais fait voir qu’aucun écrivain de son temps n’a porté de plus rudes coups au principe d’autorité et à la majesté du pouvoir royal. Je m’étais surtout attaché à montrer que la collaboration de Montaigne à la révolte contre la tyrannie, après la Saint-Barthélemy, s’explique à la fois par les événements extraordinaires qui s’accomplissaient sous ses yeux, et par ce qu’il y avait de généreux et de profondément humain dans son caractère, la sympathie que lui inspiraient les faibles, son amour de la justice, son horreur de la cruauté et de la perfidie ; et aussi par ses relations, ses amitiés, sa famille. À cette partie de mon argumentation, qui a déterminé plus d’une adhésion à ma thèse. M. Bonnefon n’oppose que le silence. Je ne puis donc que renvoyer le lecteur à mon premier travail, me bornant à ajouter qu’une entente entre Montaigne et les pamphlétaires de la Réforme, au commencement de 1574, en 1575 et en 1576, concorde avec la situation politique de ces trois années. À ce moment, les catholiques modérés, les politiques, les amis de Montaigne, sont unis avec les protestants, dans la réprobation de la Saint-Barthélémy, dans la haine de la tyrannie, dans la résolution de conquérir la véritable paix religieuse et sociale, qui ne leur paraît nullement assurée par le traité de la Rochelle. Ils vont même jusqu’à exiger le désaveu formel du crime du 24 août. Les uns et les autres recherchent le même chef, qui est le duc d’Alençon. L’acceptation par Montaigne, en mai 1574, d’une mission de peu d’im-