Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/118

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qui dirait : J’appelle parallélogramme une figure terminée par trois lignes ; mais se contentant pour l’ordinaire de dépouiller les mots qui ont deux sens, de l’un de ces sens pour l’attacher uniquement à l’autre. Comme la chaleur signifiant, dans l’usage commun, et le sentiment que nous en avons, et une qualité que nous nous imaginons dans le feu tout à fait semblable à ce que nous sentons ; pour éviter cette ambiguïté, je puis me servir du nom de chaleur, en l’appliquant à l’une de ces idées, et le détachant de l’autre ; comme si je dis : J’appelle chaleur le sentiment que j’ai quand je m’approche du feu, et donnant à la cause de ce sentiment, ou un nom tout à fait différent, comme serait celui d’ardeur, ou ce même nom, avec quelque addition qui le détermine et qui le distingue de la chaleur prise pour le sentiment, comme qui dirait la chaleur virtuelle[1].

La raison de cette observation est que les hommes, ayant une fois attaché une idée à un mot, ne s’en défont pas facilement ; et ainsi leur ancienne idée, revenant toujours, leur fait aisément oublier la nouvelle que vous voulez leur donner en définissant ce mot ; de sorte qu’il serait plus facile de les accoutumer à un mot qui ne signifierait rien du tout, comme qui dirait : J’appelle bara une figure terminée par trois lignes, que de les accoutumer à dépouiller le mot de parallélogramme de l’idée d’une figure dont les côtés opposés sont parallèles, pour lui faire signifier une figure dont les côtés ne peuvent être parallèles.

C’est un défaut dans lequel sont tombés tous les chimistes, qui ont pris plaisir de changer les noms à la plupart des choses dont ils parlent, sans aucune utilité, et de leur en donner qui signifient déjà d’autres choses qui n’ont nul véritable rapport avec les nouvelles idées auxquelles ils les lient. Ce qui donne même lieu à quelques-uns de faire des raisonnements ridicules, comme est celui qu’une personne qui, s’imaginant que la peste était un

  1. La chaleur virtuelle, ou ce qui la vertu, la puissance de produire la chaleur, par opposition à la sensation actuelle.