Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/117

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parler du temps, et n’en conçoivent autre chose que ce que naturellement tous les autres en conçoivent : et ainsi les savants et les ignorants entendent la même chose, et avec la même facilité, quand on leur dit qu’un cheval est moins de temps à faire une lieue qu’une tortue.

Je dis de plus qu’il serait impossible de définir tous les mots ; car, pour définir un mot, on a nécessairement besoin d’autres mots qui désignent l’idée à laquelle on veut attacher ce mot ; et, si l’on voulait aussi définir les mots dont on se serait servi pour l’explication de celui-là, on aurait encore besoin d’autres, et ainsi à l’infini. Il faut donc nécessairement s’arrêter à des termes primitifs qu’on ne définisse point ; et ce serait un aussi grand défaut, de vouloir trop définir que de ne pas assez définir, parce que, par l’un et par l’autre, on tomberait dans la confusion que l’on prétend éviter[1].

La seconde observation est qu’il ne faut point changer les définitions déjà reçues, quand on n’a point sujet d’y trouver à redire ; car il est toujours plus facile de faire entendre un mot, lorsque l’usage déjà reçu, au moins parmi les savants, l’a attaché à une idée, que lorsqu’il l’y faut attacher de nouveau, et le détacher de quelque autre idée avec laquelle on a accoutumé de le joindre. C’est pourquoi ce serait une faute de changer les définitions reçues par les mathématiciens, si ce n’est qu’il y en eût quelqu’une d’embrouillée, et dont l’idée n’aurait pas été désignée assez nettement, comme peut-être celle de l’angle et de la proportion dans Euclide[2].

La troisième observation est que, quand on est obligé de définir un mot, on doit, autant que l’on peut, s’accommoder à l’usage, en ne donnant pas aux mots des sens tout à fait éloignés de ceux qu’ils ont, et qui pourraient même être contraires à leur étymologie, comme

  1. « Si tous pouvaient être définis, dit également Locke, cela irait à l’infini. » Essai, III, iv.
  2. « La géométrie ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables, qui sont en grand nombre, parce que ces termes-là désignent si naturellement les choses qu’ils signifient, à ceux qui entendent la langue, que l’éclaircissement qu’on en voudrait faire apporterait plus d’obscurité que d’instruction. » Pascal, Pensées, sur l’Esprit géométrique.