Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/121

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La première, qui sert de fondement aux autres, est que les hommes ne considèrent pas souvent toute la signification des mots, c’est-à-dire que les mots signifient souvent plus qu’il ne semble[1], et que, lorsqu’on en veut expliquer la signification, on ne représente pas toute l’impression qu’ils font dans l’esprit.

Car signifier, dans un son prononcé ou écrit, n’est autre chose qu’exciter une idée liée à ce son dans notre esprit, en frappant nos oreilles ou nos yeux. Or, il arrive souvent qu’un mot, outre l’idée principale que l’on regarde comme la signification propre de ce mot, excite plusieurs autres idées qu’on peut appeler accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoique l’esprit en reçoive l’impression[2].

Par exemple, si l’on dit à une personne : Vous en avez menti, et que l’on ne regarde que la signification principale de cette expression, c’est la même chose que si on lui disait : Vous savez le contraire de ce que vous dites ; mais, outre cette signification principale, ces paroles emportent dans l’usage une idée de mépris ou d’outrage, et elles font croire que celui qui nous les dit ne se soucie pas de nous faire injure, ce qui les rend injurieuses et offensantes.

Quelquefois ces idées accessoires ne sont pas attachées aux mots par un usage commun, mais elles y sont seulement jointes par celui qui s’en sert ; et ce sont proprement celles qui sont excitées par le ton de la voix, par l’air du visage, par les gestes, et par les autres signes naturels qui attachent à nos paroles une infinité d’idées, qui en diversifient, changent, diminuent, augmentent la signification, en y joignant l’image des mouvements[3], des jugements et des opinions de celui qui parle.

C’est pourquoi, si celui qui disait qu’il fallait prendre la mesure du ton de sa voix, des oreilles de celui qui écoute, voulait dire qu’il suffit de parler assez haut pour

  1. On pourrait même dire : toujours.
  2. C’est ainsi qu’un son éveille les notes consonnantes, et une couleur les couleurs complémentaires.
  3. Les mouvements intérieurs de la passion.