Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/124

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mouvement dans l’esprit ; car, puisque les figures expriment les mouvements de notre âme, celles que l’on mêle en des sujets où l’âme ne s’émeut point sont des mouvements contre la nature, et des espèces de convulsions. C’est pourquoi il n’y a rien de moins agréable que certains prédicateurs qui s’écrient indifféremment sur tout, et qui ne s’agitent pas moins sur des raisonnements philosophiques que sur les vérités les plus étonnantes et les plus nécessaires pour le salut.

Et, au contraire, lorsque la matière que l’on traite est telle qu’elle doit raisonnablement nous toucher, c’est un défaut d’en parler d’une manière sèche, froide et sans mouvement, parce que c’est un défaut de n’être pas touché de ce qui doit nous toucher.

Ainsi, les vérités divines n’étant pas proposées simplement pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révérées et adorées par les hommes, il est sans doute que la manière noble, élevée et figurée dont les saints Pères les ont traitées leur est bien plus proportionnée qu’un style simple et sans figure, comme celui des scolastiques, puisqu’elle ne nous enseigne pas seulement ces vérités, mais qu’elle nous représente aussi les sentiments d’amour et de référence avec lesquels les Pères en ont parlé, et que, portant ainsi dans notre esprit l’image de cette sainte disposition, elle peut beaucoup contribuer à y en imprimer une semblance ; au lieu que le style scolastique, étant simple, et ne contenant que les idées de la vérité toute nue, est moins capable de produire dans l’âme les mouvements de respect et d’amour que l’on doit avoir pour les vérités chrétiennes ; ce qui le rend en ce point, non-seulement moins utile, mais aussi moins agréable, le plaisir de l’âme consistant plus à sentir des mouvements qu’à acquérir des connaissances[1].

Enfin, c’est par cette même remarque qu’on peut résoudre cette question célèbre entre les anciens philo-

  1. Comparer les réflexions de Pascal dans l’Art de persuader et dans le Discours sur les passions de l’amour.