Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/125

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sophes : s’il y a des mots déshonnêtes, et que l’on peut réfuter les raisons des stoïciens, qui voulaient qu’on pût se servir indifféremment des expressions qui sont estimées ordinairement infâmes et impudentes.

Ils prétendent, dit Cicéron, dans une lettre qu’il a faite sur ce sujet[1], qu’il n’y a point de paroles sales et honteuses ; car, ou l’infamie (disent-ils) vient des choses, ou elle est dans les paroles ; elle ne vient pas simplement des choses, puisqu’il est facile de les exprimer en d’autres paroles qui ne passent point pour déshonnêtes ; elle n’est pas aussi dans les paroles considérées comme sons, puisqu’il arrive souvent, comme Cicéron le montre, qu’un même son signifiant diverses choses, et étant estimé déshonnête dans une signification ne l’est point en une autre.

Mais tout cela n’est qu’une vaine subtilité qui ne naît que de ce que ces philosophes n’ont pas assez considéré ces idées accessoires que l’esprit joint aux idées principales des choses ; car il arrive de là qu’une même chose peut être exprimée honnêtement par un son, et déshonnêtement par un autre, si l’un de ces sons y joint quelque autre idée qui en couvre l’infamie, et si l’autre, au contraire, la présente à l’esprit d’une manière impudente. Ainsi les mots d’adultère, d’inceste, de péché abominable, ne sont pas infâmes, quoiqu’ils représentent des actions très-infâmes, parce qu’ils ne les représentent que couvertes d’un voile d’horreur, qui fait qu’on ne les regarde que comme des crimes ; de sorte que ces mots signifient plutôt le crime de ces actions que les actions mêmes, au lieu qu’il y a de certains mots qui les expriment sans en donner de l’horreur, et plutôt comme plaisantes que comme criminelles, et qui y joignent même une idée d’impudence et d’effronterie, et ce sont ces mots-là qu’on appelle infâmes et déshonnêtes.

Il en est de même de certains tours par lesquels on

  1. Cicéron, Epistolæ ad diversos, IX, 22. « Sed, ut dico, placet stoicis suo quamque rem nomine appellare. Sic enim dixerunt, nihil esse obscenum nihil turpe dictu. »