Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/132

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Et comme ce qui s’y passe se réduit à concevoir, juger, raisonner et ordonner, ainsi que nous l’avons déjà dit, les mots servent à marquer toutes ces opérations ; et pour cela on en a inventé principalement de trois sortes qui y sont essentiels, dont nous nous contenterons de parler : savoir, les noms, les pronoms et les verbes, qui tiennent la place des noms, mais d’une manière différente ; et c’est ce qu’il faut expliquer ici plus en détail.

Des noms.

Les objets de nos pensées étant, comme nous avons déjà dit, ou des choses ou des manières de choses, les mots destinés à signifier, tant les choses que les manières, s’appellent noms.

Ceux qui signifient les choses, s’appellent noms substantifs, comme terre, soleil. Ceux qui signifient les manières, en marquant en même temps le sujet auquel elles conviennent, s’appellent noms adjectifs, comme bon, juste, rond.

C’est pourquoi, quand, par une abstraction de l’esprit, on conçoit ces manières sans les rapporter à un certain sujet, comme elles subsistent alors en quelque sorte dans l’esprit par elles-mêmes, elles s’expriment par un mot substantif, comme sagesse, blancheur, couleur.

Et, au contraire, quand ce qui est de soi-même substance et chose vient à être conçu par rapport à quelque sujet, les mots qui le signifient en cette manière deviennent adjectifs, comme humain, charnel ; et en dépouillant ces adjectifs, formés des noms de substance, de leur rapport, on en fait de nouveaux substantifs : ainsi, après avoir formé du mot substantif homme l’adjectif humain, on forme de l’adjectif humain le substantif humanité.

Il y a des noms qui passent pour substantifs en grammaire, qui sont de véritables adjectifs, comme roi, philosophe, médecin, puisqu’ils marquent une manière d’être ou mode dans un sujet. Mais la raison pourquoi ils passent pour substantifs, c’est que, comme ils ne conviennent qu’à un seul sujet, on sous-entend toujours cet unique sujet sans qu’il soit besoin de l’exprimer.

Par la même raison, ces mots le rouge, le blanc, etc., sont de véritables adjectifs, parce que le rapport est marqué ; mais la raison pourquoi on n’exprime pas le substantif auquel ils se rapportent, c’est que c’est un substantif général, qui comprend tous les sujets de ces modes, et qui est